Ail des bois: plus de 70 arrestations en six ans

Les cueilleurs de grands chemins s’en donnent à cœur joie dans les boisés de la Haute-Yamaska et des environs le printemps venu. Selon des données du ministère des Ressources naturelles de la Faune du Québec (MRNF), obtenues par l’Express grâce à la Loi sur l’accès à l’information, les trafiquants d’ail des bois sévissent chez nous. Pas moins de 75 individus ont été pris en flagrant délit par des agents de la faune du bureau de Granby entre 2005-2006 et 2010-2011.

 

La récolte d’ail des bois demeure légale au Québec en respectant la limite permise de 50 bulbes par personne par année. Espèce vulnérable, elle bénéficie d’une protection juridique dans la province depuis 1995. Malgré la législation, des individus s’adonnent à la surcueillette et au commerce de l’ail des bois. Deux activités illégales passibles d’amendes si un agent de la faune se trouve sur votre chemin.

 

À la lecture des documents, on constate que plusieurs dossiers (21 cas en 2005-2006, 13 en 2006-2007 et 19 en 2007-2008) ont été traités par le bureau de Granby du MRNF au cours de cette période. La récolte de faux cueilleurs a été moins bonne pour les années 2008-2009 et 2010-2011, avec respectivement six et trois constats infractions.

 

«Il y a encore des gens qui méconnaissent la loi. C’était vrai il y a quelques années. Mais depuis le temps, ce nombre tant à diminuer. Présentement, le monde est sensibilisé», affirme le lieutenant Pierre Fortin, du Service de protection de la faune de Granby.

 

En dépit d’une meilleure connaissance de la ressource, des cueillettes abusives surviennent encore entre la fin avril et la mi-mai (période de récolte de l’ail des bois) en Montérégie, Estrie, Outaouais, Laurentides et dans Lanaudière. Des saisies de 2000 et 5000 et jusqu’ à 10 000 plants notamment dans la région de Valleyfield ont été effectuées par les agents de la faune dans les dernières années.

 

«Par le passé, nos agents ont donné des avertissements, mais il n’y en a plus d’avertissements», déclare Pierre Fortin.

 

La loi, c’est la loi même pour l’ail des bois. D’ailleurs, un cueilleur fautif est passible d’une amende de 500 $. Le contrevenant pourrait voir le coût de son constat augmenter, car la loi prévoit une amende additionnelle de 1 $ du bulbe excédant la limite autorisée (50 par année).

 

«Certains individus sortent des bois avec des poches de hockey et ça se fait encore», illustre M. Fortin, du Service de la protection de la faune.

Marché noir de l’ail des bois
Le temps des récoltes de l’ail des bois s’échelonne sur une courte période. Pas de temps de temps à perdre pour les mauvais cueilleurs. Ces derniers n’hésitent pas à moderniser leur «modus operandi» pour maximiser leurs opérations. La cueillette de nuit et le recours au téléphone cellulaire sont quelques-unes des stratégies utilisées par les contrevenants.

 

«Un complice vient reconduire le cueilleur près du bois et quitte ensuite les lieux sans laisser de traces. Une fois la récolte terminée, il (cueilleur) contacte son complice (…). C’est la problématique à laquelle on fait face», mentionne Pierre Fortin.

 

Si l’ail des bois est victime des pillards, c’est en raison du jeu de l’offre et de la demande. Il existerait un marché noir de l’ail de bois au Québec. Les contrebandiers écouleraient leurs marchandises, entre autres, dans certains marchés aux puces et marchés publics.

 

«C’est vendu en «pot Masson» et certains se font des réserves pour les liquider dans ces endroits fréquentés. On parle généralement d’un marché caché et bien organisé.»

 

Le prix sur le marché illicite?  «Pour un pot de 250 ml (environ 50 bulbes), c’est entre 6 et 10 $ et pour les plus gros pots, ça peut atteindre les 20 $», révèle Pierre Fortin.

 

Une espèce à préserver
En moyenne, les saisies annuelles frisent les 60 000 bulbes par année au Québec. La surcueillette d’ail des bois dans les années 80 et 90 a bien failli causer sa perte. «Pour sa consommation personnelle, c’est un pot Masson. Plus que ça, c’est le marché noir», affirme Andrée Nault, conseillère scientifique au Biodôme de Montréal.

 

Spécialiste de l’ail des bois, Andrée Nault a parcouru les forêts pour vérifier l’état de santé des colonies de cette plante vivace. «Pour avoir une population viable, il faut compter environ 1000 plants. Et dans beaucoup d’endroits, la population était sous-viable d’où son statut de plante vulnérable décrété en 1995.»

 

Pour renverser la tendance, des spécialises du Biodôme ont mis sur pied le programme de sauvegarde SE’MAIL en 2000. Le projet novateur permet de favoriser la plantation de l’espèce avec l’aide de propriétaires d’érablières. Par ailleurs, lors de saisies, les agents de la faune remettent à ces mêmes propriétaires participants les bulbes perquisitionnés pour les replanter en forêt. Plus 1100 propriétaires d’érablières ont participé également à l’ensemencement de graines d’ail des bois depuis les débuts du projet. Près de 800 nouvelles colonies d’ail des bois ont vu le jour à la suite de cette initiative publique.

 

«On doit continuer de faire de la sensibilisation. Une graine prend de sept à dix ans avant de devenir un plant mature. C’est sensible parce que c’est une plante qui pousse lentement d’où l’importance de la préserver», signale Andrée Nault.

 

Au cours des dernières années, les agents de la faune ont fait de bonnes récoltes, dont l’une de 10 000 plants d’ail des bois dans la région de Valleyfield. (Photo: gracieuseté)