Les femmes dans la construction: une présence à bâtir en région

La place réservée, voire refusée, aux femmes dans l’industrie de la construction est peu reluisante. Au Québec, leur présence dans le milieu atteint un maigre 1,3%. Toutefois, certaines battantes dans notre région se font tranquillement un chemin dans le domaine, encore trop souvent hostile à la gent féminine.

La copropriétaire de Construction Cantons Rénove inc. une compagnie de construction résidentielle et commerciale, de Shefford, ne colle à aucun des préjugés qu’on peut se faire d’une femme dans la construction. Bianca Lamothe Verreault, une jeune et jolie femme aux longs cheveux blonds, ne se cantonne pourtant pas au travail de bureau. Si elle s’occupe de l’administration, des soumissions et de la gestion de l’entreprise, elle travaille aussi régulièrement sur ses chantiers. «Je suis très physique, j’aime l’action et c’est un travail qui me convient parfaitement. Par contre, c’est sûr qu’il y a des soirs où je reviens complètement brûlée à la maison et où j’ai mal partout», raconte celle qui est aussi maman d’une petite fille de deux ans. Pendant sa grossesse, Bianca a dû cesser son travail manuel de charpentier menuisier. «J’ai trouvé les journées longues, à faire du bureau», se souvient-elle.    

Avant de démarrer son entreprise de construction en 2007, Bianca travaillait…comme bûcheronne! Suite à une séparation, elle a voulu réorienter sa carrière. Un matin, son père, travailleur sur la construction, lui a demandé si elle avait envie d’essayer le métier. «Il m’a dit, il nous manque un gars, veux-tu venir?». Ce fut une véritable révélation. Peu de temps après, à 22 ans à peine, elle fondait Construction Cantons Rénove inc. avec son père. Et en 2012, elle fonde Actuelle peinture avec sa sœur.

Si elle n’a jamais fait face à de gros problèmes de discrimination avec ses employés, elle constate quand même ne pas avoir droit à l’erreur. «C’est sûr que pour des gars de la construction, ce n’est pas toujours facile de se faire dire par une jeune femme comment faire les choses. Quand ils me voient travailler et qu’ils réalisent que je force autant qu’eux, sinon plus, leur perception change», assure-t-elle. La jeune entrepreneure explique aussi qu’il vaut mieux ne pas avoir les oreilles trop sensibles aux blagues à saveur masculine pour travailler sur un chantier. «Ça parle de filles, de char, de sexe», résume-t-elle en haussant les épaules.

Quant aux clients et fournisseurs, son physique les surprend toujours. «Je ne sais pas pourquoi, ils s’attendent tout le temps à voir arriver une grande fille carrée, à l’allure masculine. Une fois la surprise passée, quand ils se rendent compte que je sais de quoi je parle, les choses se passent bien», explique Bianca.

 

Du chemin à faire

Par contre, on ne peut pas en dire autant pour toutes. Le Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT), a récemment rendu public un rapport de recherche désolant, sur la place des femmes dans l’industrie de la construction au Québec. Le titre Quand la détermination ne suffit pas: la situation des travailleuses de la construction au Québec, parle de lui-même. Le rapport déplore l’existence d’une discrimination omniprésente et de nombreux cas de harcèlement psychologique et sexuel graves. Toujours selon ce rapport, les femmes se butent à des préjugés tenaces dans l’ensemble du milieu et leur taux d’abandon du métier stagne à 60% après cinq ans. En Estrie, les statistiques sont encore pires avec 0,7% seulement de présence féminine dans les rangs des travailleurs de la construction.

Christiane Carle, directrice de l’organisme en employabilité CIME, a mené un projet pilote de trois ans qui avait pour but d’identifier les conditions gagnantes à une présence accrue des femmes dans les métiers liés à la construction. «Tous les organismes du milieu le disent: il faut faire plus et mieux. Les femmes sont une solution dans un contexte où on est en pénurie de main-d’œuvre. De plus, pour des filles qui ne veulent pas nécessairement aller au cégep où à l’université, mais qui se destinent à un diplôme professionnel, il y a là des emplois payants», constate-t-elle.

En octobre dernier, la Commission de la construction du Québec (CCQ) a lancé le Programme d’accès à l’égalité des femmes dans l’industrie de la construction (PAEF). «Le Québec traîne de la patte lorsqu’on le compare aux autres provinces canadiennes. Nous devons profiter de la période actuelle de grande activité pour rattraper ce retard», écrit Diane Lemieux, PDG de la CCQ, sur le site web de l’organisme.

Cet obstacle est bien réaliste sur les chantiers nous confirme Jessica Parent, technicienne en estimation de bâtiment et chargée de projet pour la compagnie de construction Groupe Ultra, de Granby. 

«Nous avons engagé quelques filles ayant une formation en charpenterie et menuiserie. Malheureusement, jusqu’à maintenant, ça ne fonctionne pas. Nous n’imposons rien, mais les femmes partent d’elle-même, car elles ne se sentent pas à leur place», explique Mme Parent. 

La jeune femme de 25 ans avoue que la reconnaissance et la crédibilité sont plus difficiles à gagner lorsqu’on occupe un emploi généralement pratiqué par des hommes. «Ce n’est pas toujours facile, ni évident. La présence de mon père calme les réactions de certaines personnes qui sont contrariées de recevoir des directions ou des conseils venant de moi», mentionne la travailleuse de la construction en riant.

Actuellement, deux femmes travaillent chez Groupe Ultra en tant que peintres. «Les femmes peintres s’intègrent plus aisément que celle en charpenterie et menuiserie. Il ne faut pas se gêner, laisser l’orgueil de côté et demander de l’aide sur les chantiers.  Le travail physique est très dur. Il faut être prudent et il est important de se ménager si on prévoit faire ce métier pendant 30 ou 40 ans, et ce, autant pour les hommes que pour les femmes», soutient Mme Parent. 

 

Nombre de femmes titulaires d’un certificat de compétences au Québec

Compagnons: 484

Apprentis: 1239

Apprentis et compagnons: 26

Occupations: 501

Total: 2250

Entrées de main-d’œuvre sur le marché en 2011: 393 femmes sur un total de 14 573 recrues.

 

Source: Commission de la construction du Québec, (en date du 15 mai 2012).