Apprivoiser la mort à la Maison Au Diapason

Un homme aux tempes grises est assis dans un divan de cuir confortable au salon d’accueil de la Maison Au Diapason. Après 55 ans de mariage, il se prépare à faire ses adieux à sa femme. Il se sent privilégié qu’elle finisse ses jours ici. Il sourit lorsqu’il confie que sa conjointe se porte bien, malgré tout. «Dans les circonstances, il est difficile de demander mieux.»

 

De l’autre côté, Pierre Bergeron est là depuis près de trois mois. Sa femme, Cathy David est avec lui depuis les débuts. Il a reçu son premier diagnostic de cancer il y a plus de quinze ans. M. Bergeron arrive maintenant au bout de son combat. En cet après-midi frais de décembre,  Mme David pousse la chaise roulante de son mari pour le faire entrer après un séjour sur la galerie.

 

En poussant les portes, une bénévole préposée à l’accueil est là pour recevoir les gens avec un large sourire. Malgré que les gens viennent à la Maison au Diapason pour mourir, rien n’est noir. Rien n’est déprimant.
Juste à côté, une salle de jeux colorée pour enfants avec des livres, des films, des ordinateurs et des toutous. Jeanine Meunier, bénévole à l’accueil, se trouve derrière le comptoir. Elle est là depuis les débuts, en avril 2010.

 

«Personnellement, si je m’implique ici, c’est que j’ai été opéré pour un cancer il y a quelques années. Comme j’ai été bien traité, j’ai décidé de remettre ce que j’ai reçu», dit-elle.

 

Le couple marche un peu pour se rendre dans le grand salon, avec vue sur arbres et montagnes. De grandes toiles décorent les murs. Un magnifique piano à queue se dresse au milieu de la salle.

 

D’ailleurs, certaines séances de musicothérapie y sont offertes, notamment avec une harpiste qui vient y donner des concerts. Elle se rend même jusque dans les chambres pour ceux qui n’auraient pas la force d’écouter la musique dans le grand salon. «Je suis choyé de pouvoir assister à ces concerts de harpe et celle qui joue est une personne particulière», ajoute M. Bergeron.

 

Un autre couple est là pour y consulter les livres dans la bibliothèque. La femme explique que sa sœur qui souffre d’un cancer vient d’arriver. Les deux soulignent qu’ils se sentent bien accueillis.

 

Denise Bédard et Lise Polliquin sont toutes les deux bénévoles aux soins. Mme Polliquin a voulu s’impliquer au Diapason, quand elle a perdu  un proche aux mains du cancer. «C’était une façon de vivre mon deuil. On réalise que la mort fait partie de la vie», poursuit-elle.

 

Après son quart de travail, elle reconnait qu’elle a mal aux pieds. Pas grave. C’est un ressourcement qui lui rapporte beaucoup. «On vient parce qu’on aime ça. C’est par choix qu’on le fait, ce n’est pas quelque chose d’imposé.»

 

Les deux bénévoles agissent comme le bras droit des infirmières. «On fait la même tâche qu’une préposée : changer les culottes des patients, leur apporter de la nourriture à leur chambre, arranger les oreillers, vérifier que le patient est confortable. Bref, on fait tout ce qu’il faut pour les rendre confortables. La liste des petits soins est assez longue, mais c’est si simple de les aider», explique Mme Bédard.

 

Une deuxième demeure
Une salle à manger se trouve tout au bout du corridor, où beaucoup de familles vont se rassembler. Cathy David s’assoie dans la pièce pour se reposer en attendant d’être rejointe par son mari. À une autre table, des membres d’une famille discutent en prenant un café.

 

«Tout est complet ici. On a autant de l’aide au niveau des soins psychologiques que physiques. Ce qui nous permet de vivre autant des moments en couple qu’en famille. C’est comme notre deuxième demeure, on se sent comme chez nous», affirme la conjointe.

 

Les deux conjoints sont de retour dans leur chambre. Une bénévole sonne à la porte. Celle-ci vient vider la sonde. La directrice générale, Lucie Wiseman, souligne que les patients sont sécurisés au Diapason. «On enlève du stress aux familles et aux malades. Ils savent que s’il y a des problèmes, nous sommes là. On leur permet de se reposer.»

 

Chaque chambre pour les patients contient un grand lit et un divan-lit pour accommoder un membre de la famille qui souhaite dormir sur place. Elles possèdent toutes une vue sur la montagne de Bromont. Il y a également une salle de bain personnel dans chacune d’elles.

 

«À l’hôpital, il faut courir après les médecins. Ici, le personnel est disponible et accessible. Je ne les remercierai jamais assez. On réussit à bien contrôler mes douleurs», affirme M. Bergeron.

 

Médecin détendue
Julie Gill est l’une des médecins généralistes au Diapason depuis les débuts. «Je suis intéressée aux soins palliatifs, car j’ai un rapport privilégié avec les patients. Le milieu hospitalier est correct, mais le rythme et l’ambiance calme qui règnent dans la maison créent un milieu privilégié pour les parents et les familles», pense-t-elle.

 

Cette dernière a vraiment l’impression de pouvoir donner le meilleur d’elle-même afin de soulager les malades. «Il se vit beaucoup de détresse. Nos interventions sont importantes, car on vise leur confort», ajoute Mme Gill.

 

Elle voit la différence lorsqu’elle donne les soins. «Grâce aux médicaments adéquats, le patient peut retrouver une certaine qualité de vie pour le temps qu’il lui reste. Il peut juste passer de beaux moments avec sa famille. C’est sûr que c’est quelque chose qui peut se faire à l’hôpital, mais ici, c’est plus que ça, c’est un milieu de vie et social. Les gens peuvent recevoir de la visite comme il le souhaite.»                                                            

 

En tant que médecin, Dr. Gill arrive au Diapason dans un état bien différent de celui du milieu hospitalier. Elle est plus détendue. «C’est sûr qu’il y a des moments plus difficiles. On s’attache aux patients et on ne veut pas les laisser partir. On partage aussi les émotions avec la famille et le personnel bénévole», avoue-t-elle.

 

Charlotte Evans, directrice des soins infirmiers, abonde dans le même sens. «On veut reproduire l’ambiance de la maison, confortable et chaleureuse. On met beaucoup d’efforts pour contrôler la douleur avec moins d’interventions techniques», dit-elle.

 

Même si c’est complexe de gérer les symptômes, c’est le fait d’être une oreille pour les patients qui l’a attirée vers les soins palliatifs. «Tout ce qu’on peut jouer comme rôle, c’est d’être là avec eux, de les soutenir avec notre présence et de faciliter leurs derniers jours.»

 

Lyne Perras est infirmière depuis les débuts de la maison. Elle ne regrette pas sa décision, car elle a du temps à consacrer aux patients. «On se sent reconnus et il y a une belle ambiance d’esprit de famille. Les risques d’erreur et les congestions des hôpitaux ne se vivent pas ici. La charge de travail est mieux. De plus, les équipements neufs facilitent nos tâches», révèle-t-elle.

 

Marlène Côté est directrice des bénévoles. Ayant accompagné quelqu’un dans une maison de fin de vie, elle en voulait une dans la région, car elle a vu la différence. «Je pense que j’ai découvert ma voie. Quand on a perdu quelqu’un du cancer, le contact avec le patient est différent», avoue-t-elle.
Mme Côté donne maintenant la formation aux bénévoles.

 

«C’est un milieu très humain. Les entrevues de sélection sont importantes. On recherche des personnalités. Des gens de cœur avec beaucoup de compassion, du vécu, des personnalités sans jugement, des gens doux, délicats, de gens vivants qui aiment la vie. La sélection est rigoureuse et l’encadrement est rigoureux», explique la directrice des bénévoles.

 

Les bénévoles reçoivent trois jours de formation, qui portent notamment sur les valeurs sociales, la spiritualité et le savoir-être. «Nous sommes une grande équipe. C’est un projet qui est parti d’un rêve et qui a reçu l’adhésion rapide de la communauté», conclut Mme Côté.

 

Un peu plus tard en soirée, avant de s’endormir, M. Bergeron réfléchit à la chance qu’il a eue de pouvoir recevoir tout ce support et de se sentir aimé. «Tomber paraplégique du jour au lendemain, ce n’est pas évident. Mais ici, j’ai pu profiter de beaux moments», confie-t-il.

 

En attendant la fin, Pierre Bergeron profite de la présence de sa fille Maya. L’adolescente de 11 ans doit rendre visite à son papa. Ce sera l’une des dernières fois. Un mois plus tard, le cancer l’emportait par un matin ensoleillé de janvier.