Contrats d’architecture: une firme obtient presque tous les contrats à Granby

En raison d’une politique «trop restrictive» dans l’octroi de contrats d’architecture, une seule firme obtient presque tous les contrats et les appels d’offres de la Ville de Granby. Entre 2005 et 2011, la firme Favreau et Blais, architectes (FBA) a décroché 56 des 69 contrats, dont tous ceux de plus de 25 000$ soumis au processus d’appel d’offres, révèlent des données obtenues par GranbyExpress.com. Une situation qui pourrait toutefois bien tirer à sa fin.

 

Selon sa politique d’octroi de contrats, Granby restreint l’admissibilité aux appels d’offres de moins de 500 000$ aux firmes d’architecture du territoire de la Haute-Yamaska. Le hic, c’est qu’il n’y a que trois firmes en Haute-Yamaska inscrites à l’ordre des architectes: Cimaise FBA, Caroline Denommée de Granby, ainsi que Chantal Brodeur de Saint-Alphonse.

 

GranbyExpress.com a recensé les récents contrats majeurs accordés par Granby. En observant les résultats d’appels d’offres, on constate que Favreau et Blais, aujourd’hui Cimaise-FBA, est souvent la seule firme en lice et la seule à décrocher les contrats.

 

En plus des restrictions territoriales, la Ville de Granby exigerait des critères «trop élevés», selon les autres firmes d’architectes, ce qui a pour effet de les écarter. Celles-ci déplorent notamment les exigences en matière de ressources humaines, d’expérience et de relève. En bref, les petites firmes, qui ne comptent sur un personnel restreint, n’ont pratiquement aucune chance d’obtenir ces mandats, déplorent-elles.

 

Monopole FBA

Des six derniers contrats de plus de 25 000$ qui ont été accordés à Cimaise-FBA, quatre d’entre eux l’ont été sans concurrence d’une autre firme.

 

D’abord, dans le dossier du réaménagement des blocs sanitaires à la piscine Miner, en février 2007, Favreau et Blais architectes, a raflé le contrat de plans sans concurrence. Lors de l’appel d’offres sur invitation, des firmes de Bromont et Cowansville ont été approchées, mais personne n’a répondu à l’appel. Le contrat a été accordé par défaut à FBA au coût de 91 160$.

 

En 2008, on s’est attaqué au dossier d’agrandissement du Centre sportif Léonard-Grondin. À l’étape des plans et devis, on a procédé par invitation. Comme Bromont faisait toujours partie de la Haute-Yamaska à l’époque, on a encore invité deux firmes de Bromont et Cimaise-FBA. À l’ouverture des soumissions, il n’y en avait qu’une seule. On a donc octroyé, sans concurrence, un contrat de 169 312,50$ à Cimaise-FBA.

 

Alors associée à l’architecte Allan Bellavance, qui figurait parmi les invités, Chantal Brodeur a jeté un œil aux documents, mais elle a vite déchanté.

 

«J’étais vraiment positive, j’ai payé 100$ pour avoir les documents et j’ai regardé les critères de sélection. On était défavorisé sur plein de choses». Il ne fait aucun doute pour elle que «les grosses firmes comme [son] principal compétiteur» étaient favorisées, en raison des exigences en matière de ressources humaines, d’expérience et de relève.

 

«C’était impossible [de se qualifier], même avec une équipe d’une dizaine de personnes.»

 

Ce n’est pas tout, «considérant l’orientation du conseil municipal de négocier les honoraires professionnels de surveillance avec les mêmes professionnels ayant réalisé les plans et devis», comme on peut le lire dans la résolution du 23 avril 2010, il n’y a eu aucun appel d’offres pour la surveillance du chantier.

 

Granby a donc conclu, de gré à gré, une entente de 315 000$ avec Cimaise-FBA.

 

Troisième chantier d’envergure en août 2010, Favreau et Blais, devenue Cimaise-FBA, a obtenu le contrat pour les plans et devis du nouveau pavillon du Centre d’interprétation de la nature du lac Boivin (CINLB). Pour l’appel d’offres, Chantal Brodeur et Caroline Denommée ont fait équipe, mais en vain. Le contrat a été octroyé à Cimaise-FBA pour 118 518,75$.

 

Quelques mois plus tard, en décembre 2010, Granby lance son projet d’agrandissement de la caserne des pompiers. Tel que mentionné précédemment, la politique de la municipalité restreint l’admissibilité aux firmes sur le territoire de la MRC.

 

Les trois candidats potentiels ont alors déposé des soumissions, sauf que celle du Consortium Brodeur/Petrone a été rejetée. Le duo n’a d’ailleurs jamais obtenu de raisons pour voir sa soumission rejetée. Chantal Brodeur estime pourtant avoir toutes les compétences nécessaires, alors qu’elle a déjà réalisé deux projets à l’intérieur de la caserne. Son partenaire, Mario Petrone exerce depuis 35 ans, il a reçu le Prix du Gouverneur général du Canada et le prix d’excellence de l’Ordre des architectes.

 

Il ne restait une fois de plus que Caroline Denommée et Cimaise-FBA. La firme de Denis Favreau et Dominique Blais a obtenu le contrat au coût de 296 205$.

 

On a ensuite procédé à un appel d’offres pour la surveillance du chantier. Un contrat qui a soulevé la controverse, comme GranbyExpress.com l’a révélé à l’époque. L’appel d’offres était truffé d’erreurs, dont le coût estimé à moins de 200 000$ alors que le contrat a finalement été accordé au coût de 324 686,25$ à Cimaise-FBA, sans concurrence.

 

Interrogée sur les raisons qui l’avaient poussée à ne pas déposer de soumission pour la surveillance du chantier, Caroline Denommée avait dit se sentir mal à l’aise à l’idée d’endosser les plans d’un autre architecte.

 

Meilleur prix?

De son côté Denis Favreau, architecte-associé chez Cimaise-FBA, affirme obtenir ces contrats parce qu’il est «beaucoup meilleur marché» que ses concurrents.

 

«Quand on fait un prix, c’est toujours un excellent prix. On ne profite absolument pas de la situation», insiste l’architecte qui compte 32 ans d’expérience. «Chaque sou qu’on gagne, on veut le mériter», ajoute-t-il.

 

Deux exemples récents démontrent qu’une plus grande concurrence pourrait toutefois être bénéfique pour les Granbyens. Du propre aveu de Denis Favreau, sa firme a perdu les appels d’offres de la commission scolaire pour les écoles Eurêka et de la Chantignole. Comme l’appel était ouvert à tous, ce sont des firmes de Brossard et Montréal qui l’ont emporté.

 

«Si le conseil municipal a jugé qu’il fallait limiter à la MRC, c’est sa décision, mais c’est sûr que d’un autre côté on fait travailler des gens localement», commente M. Favreau qui dit employer 25 personnes.

 

Des architectes désillusionnés

Chantal Brodeur pratique son métier depuis 20 ans. De 2002 à 2004, l’architecte a décroché quelques mandats municipaux avant de s’associer à Favreau & Blais. Le trio a obtenu des contrats en 2003 et 2004 puis Mme Brodeur est retournée à son cabinet personnel.

 

Celle-ci a décroché son tout dernier contrat de la Ville de Granby en juin 2005. Ensuite le vide. Pourtant, dans le privé, elle réalise des projets d’envergure, dont le dernier exemple en lice est le nouveau complexe commercial à l’angle des rues Robinson et Léon-Harmel, à Granby. Elle compte aussi parmi ses clients des entreprises majeures comme Sobeys et IBM.

 

Malgré sa bonne réputation dans le privé, toutes ses tentatives dans les projets de la Ville de Granby lui ont laissé un goût amer. «C’est démoralisant d’avoir des notes de 40%!», confie-t-elle.

 

Denis Favreau aussi «trouve les critères très élevés». Il donne en exemple une demande pour la caserne où l’on exigeait un surveillant de chantier à temps plein. «Est-ce qu’une plus petite firme aurait été capable?», s’interroge-t-il.

 

Alain Tétreault est membre de l’ordre des architectes depuis 1989. Il a récemment été engagé par deux municipalités de la Haute-Yamaska, Waterloo et Roxton Pond, même si son bureau se trouve à Bromont. Ces deux municipalités n’appliquent pas de mesure discriminatoire liée au territoire de la MRC. Lors de l’appel d’offres pour l’aréna Léonard-Grondin, il a été invité, mais n’a pas déposé d’offre. Sans donner de raison précise pour expliquer son abstention, il suggère qu’il n’avait «peut-être pas le temps».

 

Bien que les règles actuelles l’empêchent de soumissionner sur les contrats de Granby, Alain Tétreault se dit «toujours ouvert» si la réglementation vient à changer.

 

L’architecte déplore que la Ville de Granby évalue la qualité des firmes selon la taille de son équipe et non selon la compétence. «Les petites firmes sont assez compétentes en terme de personnel et d’expérience. Même dans les grosses firmes, il n’y a pas vingt personnes qui travaillent sur un projet!», argumente-t-il.

 

Dépassements de coûts

Lors des réunions du conseil municipal de février, mars et avril, les élus de Granby ont dû adopter six résolutions pour avaliser des dépassements de coûts de 472 755,73$ à la caserne de pompiers. Chaque fois, les conseillers et le maire ont dénoncé les nombreuses «erreurs et omissions» aux plans d’architecture de Cimaise-FBA et aux plans d’ingénierie de CIMA+ pour expliquer la plupart des dépenses supplémentaires.

 

Les sommes reliées aux erreurs dans les plans s’élèveraient à 291 361,08$. En point de presse après la réunion publique du 2 avril, la maire Richard Goulet a même lancé qu’il n’avait «jamais vu ça» depuis qu’il dirige la Ville.

 

Interrogé sur la possibilité de modifier la politique d’octroi de contrats afin de permettre à des firmes de Bromont, Cowansville, de la Montérégie ou de l’Estrie de participer aux appels d’offres, le maire Richard Goulet dit réfléchir.

 

«Pour l’instant, c’est le statut quo», répond-il d’abord, avant de lancer pour mettre fin à la discussion qu’il «y pense souvent».

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Contrats obtenus entre 2005 et 2011

Favreau & Blais / Favreau Blais Brodeur / Cimaise-FBA

56 contrats  1 533 347,90$

Chantal Brodeur

4 contrats  11 463,85$

Caroline Denommée

9 contrats  167 357,16$

 

 

Trois candidats étaient sur les rangs pour l’obtention du contrat d’architecture de la nouvelle caserne de pomipers à Granby. Le contrat a finalement été octroyé à Cimaise-FBA.

Photo :archives