Dix fugues chaque jour au Québec

Ils sont jeunes, débrouillards et à la recherche de liberté. Pas une journée ne passe sans qu’une dizaine d’adolescents ne quittent leur résidence familiale sans en avertir leurs parents, révèlent des données obtenues par TC Media.

En ce mois de novembre, mois de la prévention des fugues, Enfant-Retour Québec sonne l’alarme.

Le plus récent rapport sur les enfants disparus au Canada indique qu’il y a eu 3570 fugues dans la province en 2012. Il s’agit d’une moyenne de dix disparitions quotidiennement.

Les statistiques montrent toutefois une baisse constante du nombre de signalements depuis cinq ans. En 2008, on en dénombrait 5 707, soit 60% de plus comparativement à 2012.

Les garçons échappent davantage à la surveillance parentale que les filles, puisqu’ils étaient 1992 à quitter leur foyer sans avertissement l’an dernier, contre 1578 du côté féminin. À ce chapitre, le Québec fait bande à part au Canada. Il s’agit de l’unique province où cette tendance est observée. Au pays, les filles représentent 58% des signalements.

Bien que les fugues soient moins nombreuses que par le passé, Enfant-Retour Québec estime que le problème est très sérieux.

«Il y a une désensibilisation du public, car il y en a des milliers, estime la directrice générale de l’organisme, Pina Arcamone. Lorsqu’un adolescent fuit à plusieurs reprises, cela mène les gens à banaliser sa disparition. Pourtant, l’enfant est très vulnérable. Il s’expose à bien des dangers. Il n’a pas d’argent. Il a faim et souvent froid. Il devient une proie facile pour les prédateurs.»

Deux profils de fugueurs

Le manque de ressources est d’ailleurs ce qui expliquait le retour à la maison pour le deux tiers des fugueurs dans les 24 heures premières heures en 2012. Selon le rapport sur les enfants disparus, 86% d’entre eux sont revenus au cours de la première semaine.

Ces adolescents en étaient souvent à leur première fuite. Sous le coup de la colère, ils ont pris la poudre d’escampette. Le geste étant spontané, la fugue n’est jamais bien longue.

L’autre profil de fugueurs est beaucoup mieux organisé. Les jeunes n’en sont pas à leur première fuite et leur disparition est planifiée et préparée. 

Chez Enfant-Retour, un adolescent n’a pas été vu depuis quatre ans et demi. Il s’agit de David Fortin, originaire d’Alma, dont l’histoire a été très médiatisée.

L’élève de 14 ans a été aperçu pour la dernière fois alors qu’il attendait l’autobus. Même si plusieurs personnes croient l’avoir croisé au Québec et en Colombie-Britannique, les policiers n’ont jamais pu le retrouver.

L’adolescence est d’ailleurs un moment critique pour les fugues, puisque 45% des signalements d’enfants disparus sont des enfants de 14 et 15 ans.

Dossiers

Le dossier du Saguenéen figure parmi les avis de disparition non résolus chez Enfant-Retour Québec. Au cours des quatre dernières années (janvier 2010 à septembre 2013), plus de 200 cas comme lui ont été traités par l’organisme. 95% des jeunes ont été retrouvés.

«On nous informe d’une fugue lorsque l’enfant est disparu depuis une semaine ou plus, indique Pina Arcamone. À moins qu’on craigne pour sa vie, on ne le sait jamais dès les premières heures.»

C’est pourtant à ce moment que les adolescents sont les plus vulnérables. «Les filles représentent 79% de nos dossiers. À cet âge, elles manquent souvent d’estime de soi. Elles ont besoin d’être valorisées. Elles vont rencontrer des adultes qui vont leur donner confiance et leur promettre de les aider», explique la directrice générale.

Ces prédateurs peuvent alors les entraîner dans des activités, tels le vol, la prostitution ou la vente de drogue. Parmi les dossiers ouverts par l’organisme, on note que 13% des fugueuses auraient été exposées à l’exploitation sexuelle et 17% en ont été réellement victimes.

Novembre

À cette époque de l’année, le téléphone sonne régulièrement chez Enfant-Retour Québec. Le mois de novembre est celui où les signalements sont les plus nombreux.

«Les fugues sont souvent le résultat d’un manque de communication. La remise du premier bulletin en novembre est l’occasion pour les parents de découvrir les mauvaises notes de leur enfant», souligne Pina Arcamone.

Cette dernière mentionne que le printemps, avec le retour du beau temps et la fin des classes, est aussi l’une des périodes fortes de l’année.

Recherches

Pour retrouver les fugueurs, l’aide du public et des policiers s’avère toujours précieuse. «Un enfant sur six est retrouvé grâce à la publication de sa photo dans les médias et les réseaux sociaux, révèle Mme Arcamone. Ces modes de communication propulsent la nouvelle en très peu de temps.»

Dans 65% des cas traités par l’organisme, ce sont toutefois les policiers qui ont localisé l’adolescent en fuite. Le tiers des jeunes ont fini par abandonner leur cavale et rentrer à la maison. Les recherches de la famille ont permis de conclure le dossier dans seulement 2% des situations.

Parents

Enfant-Retour accompagne d’ailleurs les parents d’enfants disparus. Dans la majorité des cas, les adolescents tenteront au moins une fois d’entrer en contact avec eux.

«Il faut être préparé à ce coup de téléphone, souligne-t-elle. Il faut rétablir la communication. On doit ouvrir la porte et chercher ensemble des solutions. On pose de simples questions, telles «Es-tu en sécurité?» ou «Quand penses-tu me rappeler?». Il n’y a pas de place à la frustration.»

Cette ouverture est le moyen le plus efficace pour permettre des retrouvailles. Néanmoins, les risques de récidives sont nombreux. En effet, près de 10% des jeunes ayant fait l’objet d’un avis de recherche chez Enfant-Retour ont fugué deux à quatre fois en moyenne.