Huit heures d’obstacles en fauteuil roulant
Une dénivellation, une craque de trottoir, une rampe d’accès sans rampe,… des détails anodins pour monsieur et madame Tout-le-Monde. Mais un réel défi pour les personnes à mobilité réduite. Dans le cadre de la Semaine québécoise des personnes handicapées qui se tient jusqu’au 7 juin, une journaliste du GranbyExpress.com a passé une journée complète dans un fauteuil roulant. Récit d’une journée parsemée d’obstacles.
Des complications se présentent dès le début de l’expérience. Le poids et la dimension du fauteuil, prêté gracieusement par Estrie-Roule, représentent à eux seuls un défi de taille. C’est à bout de bras que je réussis à entrer le fauteuil roulant dans le coffre arrière de ma voiture.
Deuxième constatation: mon appartement est loin d’être adapté à mon nouveau «statut».
Escalier de 17 marches, porte de salle de bain trop étroite, manque d’espace entre le four et le réfrigérateur, dénivellation à l’entrée… À vrai dire, tomber du jour au lendemain dans un fauteuil roulant nécessiterait un déménagement, rien de moins.
Puisqu’Ami-Bus a refusé de transporter l’auteure de ses lignes en raison de la règlementation en vigueur, c’est dans le stationnement du journal que la journée a débuté, sur le coup 8h30. Déjà, les trous dans la chaussée me font la vie dure. Ça, c’était avant que je me rende compte que la rampe d’accès du bâtiment n’avait pas… de rampe. À chaque coup de roues, j’ai peur de perdre les quelques pouces de la dure montée. Après plusieurs poussées, me voilà en haut – très fière, soyons honnête – à la recherche du bouton-poussoir qui ouvrira la porte, engin qui s’avèrera introuvable. Ouvrant la porte de gauche d’une main et m’agrippant à l’autre, je parviens à entrer, non sans effort.
L’ascenseur et les larges couloirs de l’immeuble me rendent la tâche facile jusqu’au local du journal. Les passages étroits, les objets disposés ici et là dans le bureau complexifient l’arrivée à mon poste de travail. Ce sont toutefois les cadres de porte, auxquels je me coincerai les mains toute la journée, qui retiennent mon attention.
Discussions
«Qu’est-ce qui t’est arrivé?», m’ont lancé plusieurs collègues qui n’étaient pas au courant de l’expérience. Être en fauteuil roulant, ça fait jaser, surtout lorsque la veille, on se tient sur ses deux jambes. Ça apporte aussi son lot de discussions, que l’on n’aurait pas nécessairement dans la vie de tous les jours. C’est de cette manière que j’ai su que la mère de ma collègue Josée Sicard était clouée à un fauteuil roulant depuis quelques années. La vie de ses parents a viré du tout au tout. Son père, qui n’est pas de la génération du partage des tâches domestiques, s’est mis, du jour au lendemain, à faire le ménage et à préparer les repas. «Et fais attention aux trous de puisard», me dit Josée, en guise de conseil.
Midi. Un petit tour au four micro-ondes pour y faire chauffer mon lunch a tôt fait de me faire regretter de ne pas avoir opté pour un repas froid. Avec un plat chaud posé directement sur les cuisses, le trajet entre la cuisinette et la salle à manger, quoique très court normalement, s’est avéré une éternité. J’ai également dû tricher pour aller aux toilettes au travail. Les cabines étroites et l’absence de barres de soutien rendent impossible l’allée à la salle de bain.
14h. À peine sortie du bureau par la porte arrière, une craque de trottoir, dans une pente, freine ma balade à l’extérieur. Sous les regards des automobilistes arrêtés au feu rouge, je tente de me déprendre. En vain. L’aide de mon collègue Éric Patenaude me permettra de continuer ma route jusqu’au coin de la rue.
Traverser l’intersection Principale et Saint-Charles en moins de 17 secondes représente un défi pour une néophyte sur deux roues comme moi. C’est nettement insuffisant pour remonter en toute sécurité sur le trottoir.
Réussir à appuyer sur le bouton pour appeler les feux de circulation pour piéton n’est guère plus facile. Les roues de la chaise se coincent dans le joint qui délimite le trottoir au pavé uni. Et une plate-bande entoure aussi le poteau…
Après une promenade d’une centaine de mètres, mes bras, pourtant bien entraînés, peinent à propulser mon fauteuil de l’autre côté de l’intersection. Sentant les regards des conducteurs sur moi, ayant peur de me faire frapper par une voiture ou de tomber à la renverse, j’essaie tant bien que mal de remonter sur le trottoir. La dénivellation d’à peine un pouce aura raison de mes efforts. Mon collègue vient de nouveau à ma rescousse.
De retour vers le bureau, les trottoirs qui sont loin d’être à niveau rendent mon parcours difficile. Pour compenser la pente d’un côté, l’un de mes bras doit travailler beaucoup plus fort afin de rouler en ligne droite.
L’ascension de la rampe d’accès (sans rampe), l’ouverture manuelle des portes et les passages étroits ponctuent le retour à mon poste de travail, endroit que je retrouve avec les bras «vidés».
16h45. Je quitte le fauteuil afin de le retourner à bon port.
L’expérience a beau être terminée le lendemain matin, je ressens encore celle-ci plusieurs heures plus tard à travers mes bras.
À partir d’aujourd’hui, je ne regarderai plus la chaussée de la même façon.