L’eldorado mexicain dans les champs de Brome-Missisquoi

On les aperçoit souvent sur le bord des routes à vélo. Chaque été, ils reviennent besogner dans nos champs, nos vergers et nos vignobles. Véritable Eldorado pour les travailleurs étrangers, les terres de la région désertées par les Québécois représentent la promesse d’une vie meilleure, alors qu’ils parviennent à faire en une journée le salaire d’une semaine chez eux. Un exil qui ne se fait toutefois pas sans heurts, alors qu’ils doivent se résigner à s’éloigner de leurs familles.

À la ferme des Vergers Tougas, à Dunham, ils sont huit travailleurs mexicains et quatre d’origine guatémaltèque à travailler et habiter dans le verger pour une période de trois mois. Arrivés au début août, les douze hommes repartiront chez eux vers la fin octobre.

Ils cueillent des pommes et conduisent les tracteurs dix à onze heures par jour, six jours par semaine. À la question sur la difficulté d’être éloignés de leurs familles, ils répondent d’un retentissant : «Claro» ! C’est clair, ils s’ennuient beaucoup des leurs, mais affirment dans un même souffle qu’ils resteraient plus longtemps s’ils le pouvaient. L’apport financier en vaut la peine et les conditions de travail demeurent meilleures que dans leurs pays d’origine. Ces travailleurs gagnent ici en une journée de travail, leur salaire d’une semaine entière au Mexique ou au Guatemala. «Nous avons cessé d’ouvrir des comptes de banque ici pour eux. Ils ne les utilisent pas, ils envoient presque tout directement là-bas» confie Isabelle Tougas, propriétaire des Vergers Tougas. 

Pour rester en contact avec leurs proches, ils téléphonent trois fois par semaine, pour des périodes d’une heure, dans leurs pays respectifs. «Les gars achètent des cartes d’appel et ils téléphonent régulièrement. Nous avons dû établir un système de tirage au sort pour les appels parce que c’était une source de mésentente et de frustration importante entre eux», poursuit Isabelle.

Il y a quelques semaines, Arturo Nabel Gomez, s’est fracturé le bras suite à une bête chute. «Nous l’avons amené à l’hôpital. Il était très inquiet, il avait peur qu’on le renvoie chez eux», raconte Isabelle. Couvert par l’assurance-maladie et la CSST, Arturo a pu se faire opérer et soigner sans frais. Il a bénéficié d’un arrêt complet de deux semaines, suivi d’une affectation à des travaux légers. La première semaine suivant son accident, il s’est glissé discrètement dans la file des travailleurs, craignant probablement encore d’être retourné chez lui s’il ne travaillait pas.

Renvoyé au repos obligatoire par sa patronne, il a pris le temps de guérir, mais a trouvé les journées un peu longues. Un mois plus tard, il est de retour au travail et conduit fièrement le tracteur de la ferme.

Pendant leurs rares jours de congé, les huit travailleurs d’origine mexicaine utilisent la camionnette fournie par la ferme et partent faire leurs courses dans une petite épicerie sud-américaine à Granby. Ils y trouvent le nécessaire pour se cuisiner de bons plats typiquement mexicains, tels que chili et tortilla. Ils visitent aussi parfois le marché aux puces de Bromont où ils dénichent des cadeaux pour leurs proches.

Les quatre travailleurs d’origine guatémaltèque vont faire leurs achats le jeudi soir, reconduits par Benito, l’un des cueilleurs mexicains. S’ils désirent y retourner le dimanche, ils vont à vélo jusqu’à Cowansville ou s’y font accompagner par leur patronne. Malheureusement pour eux, leur permis de conduire n’est pas reconnu au Québec, ils ne peuvent donc pas utiliser la camionnette de la ferme. Leur préférence va au magasin Super C, où ils dénichent les ingrédients nécessaires pour faire leurs propres tortillas.

Les «gars»

La patronne du verger parle de «ses gars» avec affection et respect. Depuis qu’elle a commencé à les faire venir il y a quelques années, l’agricultrice et résidente de Dunham a acquis de solides connaissances en espagnol et communique aisément avec eux.

Elle a d’abord suivi un cours de base en espagnol, offert aux employeurs de main-d’œuvre étrangère agricole. «Ensuite, j’ai beaucoup appris ici au verger, en parlant avec les gars».

Selon elle, ses employés étrangers cueillent beaucoup de pommes, sont fiables et prennent leur tâche au sérieux. Dans le passé, l’agricultrice a éprouvé certains problèmes avec des travailleurs québécois qui disparaissaient du jour au lendemain, après seulement quelques jours dans le verger.

Ce manque de constance, combiné à la difficulté de recruter de la main-d’œuvre locale ont mené à la décision de faire venir des étrangers. «J’ai encore la moitié de cueilleurs québécois. Cette année mon équipe autant latino, que québécoise est exceptionnelle. Ils ont vraiment à cœur de me sortir une belle récolte», conclut-elle.