Odyssée polaire pour le photographe Pierre Dunnigan   

PHOTO. Un Bromontois revient tout juste d’un périple au nord du 55e parallèle. Comme il le fait depuis maintenant six ans, Pierre Dunnigan se charge de prendre les photos de l’Ivakkak, une course de chiens de traîneaux avec en toile de fond le Nord-du-Québec. Un voyage aux défis nombreux, mais le charmant à tout coup, de par sa beauté sauvage et transcendante.  

Avec la tenue de cette course, une quinzième cette année, les organisateurs souhaitent raviver des traditions jadis bien ancrées au sein de la communauté inuite. «L’objectif de la course, il est d’abord culturel. C’est pour ramener l’esprit du déplacement avec des chiens de traîneau, en plus des traditions reliées à l’élevage des chiens huskys. Certains participants sont partis de rien, mais veulent être de ce monde-là. Ils ont suivi les traces de leur père», laisse entendre Pierre Dunnigan.

L’épreuve, d’une dizaine de jours, tire son nom d’une expression signifiant «quand les chiens vont à un bon rythme». Les conducteurs, ou mushers dans le jargon, prennent place en équipe de deux dans des traîneaux qui font entre 12 et 16 pieds de long. Ils charrient le matériel nécessaire leur assurant une autonomie de deux jours, en cas de tempête ou de blizzard.  

L’événement est organisé par Makivik, une société en charge de faire progresser les questions culturelles, économiques et politiques du Nunavik. Les troupes débarquent et repartent par avion. À bord, des cages spéciales sont aménagées pour les chiens. Les attelages, une dizaine cette année, sont tirés par une meute de huit à douze chiens, qui se déploient en éventail, au lieu de la formation à deux par deux habituellement observée. La course s’étend sur huit jours et 640 km, le long de la côte de la baie d’Hudson, et s’arrête dans quatre villages. Les participants prenaient le départ à Kuujjuarapik et traversaient de nombreuses communautés. Leur parcours se terminait à Puvirnituq, d’où proviennent d’ailleurs les trois vainqueurs de cette année. L’attrait universel pour les chiens opère. «La foule est là et nous attend. Elle soutient beaucoup les mushers.»

Sur terre, les sentiers sur lesquels ils évoluent existent depuis des milliers d’années. Les plus âgés constituent une mine de renseignements et transmettent quelques conseils sur les tracés à emprunter, les endroits au relief accidenté à éviter. Les trois quarts de la course s’effectuent sur la glace de mer.

Camping polaire

À la fin d’une journée de courses, les tentes bien plantées et bien chauffées, l’esprit est à l’entraide et à la camaraderie. Et les liens tissés y sont précieux. «On est témoin d’une palette d’émotions, de l’excitation avant le départ jusqu’aux petites déceptions quotidiennes, en passant par la joie de celui qui arrive premier cette journée-là», détaille Pierre Dunnigan. Les soirées permettent de compiler les données de la journée et de nourrir les chiens, dont le menu se compose notamment de poisson et de phoque.

Au fil d’arrivée, des bourses atteignant plusieurs milliers de dollars, incluant des vêtements performants, des billets d’avion et des bons pour se procurer de la nourriture, sont attribuées aux gagnants.              

Le vent, glacial et perçant, demeure l’un des éléments les plus contraignants et sa présence se fait soutenue à travers le plateau blanc. Il importe peu que l’on soit en bordure de mer ou plus creux dans les terres, relate le photographe, pour en subir les effets. Le mercure affichait régulièrement moins 40 degrés, et ce avant même le calcul d’un hypothétique refroidissement éolien. Ce qui le force à réchauffer les piles de son appareil photo pendant de longues minutes, et à répétition.

«Quand il fait moins 25, on sent la chaleur. Des sachets chauffants pour les mains, tu en ouvres cinq par jour», illustre le photographe. Un viseur embué et des yeux humides au contact du vent constituent d’autres défis avec lesquels il doit composer en tant que photographe. La barrière de langue ne l’embête pas. «Sur les 40 participants, nous sommes deux Blancs. Tout se fait en inuktitut, un des dialectes de la langue Inuit», signale-t-il.       

Celui qui se déplace en motoneige, le principal moyen de transport, doit respecter certains principes avant d’être en mesure de capter les moments-clés de la course. «Je n’ai pas le droit d’être sur la <I>trail<I>, ni de déranger les chiens. Il faut arriver à développer une connivence avec les mushers et les chiens.»

Vaste territoire 

Le chasseur d’images, qui accumule les mandats dans le Grand Nord depuis un quart de siècle, livre tout de même un vibrant plaidoyer en faveur du Nunavik. Chaque fois qu’il y pose les pieds, il est à même d’apprécier les vastes paysages qu’il offre. Et ce ne sont pas les marques de peau crevassée puis asséchée, laissées sous les yeux «à cause d’un froid exceptionnellement intense cette année», qui le ralentissent. Pour croquer de bons clichés, le photographe use d’instinct et de chance. «C’est de reconnaître la réaction des chiens, savoir saisir l’instant présent tout en étant conscient de la luminosité, de l’angle», révèle-t-il. 

«Mon plaisir, c’est de pouvoir lire la lumière. Certains disent que c’est noir ou blanc seulement, mais de la couleur il n’en manque pas. Des nuances, il y en a beaucoup et il s’agit de les voir et de les interpréter en photographie. Ce sont des lieux encore sauvages, des joyaux en terme de biodiversité. Ils ont une valeur visuelle et émotionnelle.»

Vers la vingtième

Les cinq prochaines éditions seront notamment consacrées à faire connaître la course. À l’approche de la vingtième, il est aussi question d’élargir le bassin de participants et d’y inviter des coureurs du Nunavut ou du nord du Manitoba, toujours en conservant le caractère distinctif de l’épreuve. «On veut mettre la course sur la map. La volonté des élus de la faire fonctionner est bien présente. C’est un des événements majeurs là-bas.»

 La course en bref 

Organisée depuis 2001

Ivakkak signifie «quand les chiens vont à un bon rythme»

Dure 8 jours

Se déroule sur plus de 600 km, pour une moyenne quotidienne d’environ 80 km

Attire bon an mal une quinzaine d’équipes