Vos matières recyclables envoyées au bout du monde
Le carton de lait que vous déposez dans votre bac à recyclage n’obtient pas toujours une deuxième vie au Québec. À défaut de trouver preneur chez nous, des tonnes de matières recyclables récupérées dans les bacs bleus de la région se retrouvent dans des conteneurs, avant d’être acheminées à l’autre bout du monde en Chine.
«Ce qu’on envoie en Chine représente 5% de notre chiffre d’affaires», indique Julie Gagné, copropriétaire de l’entreprise Sani-Éco, à Granby. Pintes de lait, boîtes de biscuits, fils de petits appareils, les Chinois apprécient plusieurs matières qui n’arrivent pas à se tailler une place dans notre économie locale.
«Le problème avec le Québec, c’est que pour certaines matières récupérées, il n’y a pas beaucoup d’usines qui les récupèrent», fait valoir Michel Quinn, directeur des ventes de la multinationale RockTenn et également courtier pour Sani Éco depuis plus de dix ans.
Il y a plusieurs mois, il n’était pas rare pour Marilyne Doucet, responsable de l’achat et vente chez Acier et Métaux Doucet à Granby, de faire affaires avec des Chinois fraîchement débarqués dans sa cour. «Ils peuvent arriver comme un cheveu sur la soupe. Ils regardent la marchandise, font un prix, envoient un camion, chargent le stock et font un chèque», explique-t-elle.
Un voyage de trois mois
Des tonnes de matières récupérées chaque année au Québec, environ 28 à 30 millions de tonnes font le chemin jusqu’à l’autre bout de la planète. Un long voyage qui met trois mois avant d’arriver de Granby jusqu’à destination.
Du bac bleu, les matières recyclables sont chargées dans un camion de cueillette afin d’être transportées au centre de tri. Après le triage, les matières sont compressées en ballot puis quittent Granby. Si certains paquets restent en Amérique du Nord, ceux destinés à la Chine sont envoyés au port de Montréal, où ils quittent par paquebot vers l’empire du Milieu. «Ça coûterait trop cher de les faire transiter par Vancouver par camion», précise Mme Gagné. Le recyclage québécois passe alors trois mois dans des conteneurs avant de voir le soleil de la Chine.
Pour vendre sa marchandise aux Chinois, l’entreprise granbyenne Sani-Éco passe par un courtier. «Je ne vends pas directement aux moulins là-bas et je n’ai pas assez de volume pour investir. J’aime mieux travailler avec les gens de mon coin de pays, dit la copropriétaire de l’entreprise. Je ne fermerai pas la porte à la Chine, mais je ne donnerai jamais tout à la Chine», laisse-t-elle tomber.
Si l’exportation vers l’Asie ne représente qu’une infime partie du chiffre d’affaires de Sani Éco, elle tend tout de même à augmenter, même si de plus en plus de programmes pour favoriser le recyclage et l’utilisation des matières sont implantés en Chine. «Il y a tellement de conteneurs qui partent de l’Asie vers l’Amérique que pour les rentabiliser, ils les remplissent au retour. Actuellement, le Québec envoie énormément de matières recyclées en Asie. On parle de 28 à 30 millions de tonnes par année, dont 90% sont envoyées en Chine et je crois que ça va augmenter au fil du temps», indique Michel Quinn.
Couper les coûts
Ce n’est pas parce que les Chinois achètent nos ordures, qu’ils ne sont pas sélectifs. Bien au contraire.
«Les Chinois aiment la marchandise sur laquelle il y a encore du travail à faire», explique Mme Gagné. Fils de petits appareils ménagers, chaudrons, chaises, stores vénitien; toutes sortes de matières compressées et compactées qui ne sont pas encore prêtes à être transformées remplissent des conteneurs qui partent vers le pays de Mao. «Ils ne veulent pas de matières de premier grade. Il faut qu’il y ait de la job à faire. Quand la marchandise est propre, qu’il n’y a pas de travail à faire, ils n’en veulent pas, elle est trop chère», explique Julie Gagné.
Pour couper les coûts, les travailleurs asiatiques vont, par exemple, donc dégainer le cuivre qui se trouve à l’intérieur des fils et retirer eux-mêmes les rivets des chaudrons et poêlons. Les Chinois affectionnent aussi les ensembles de robinetterie. «Là, les Chinois ils tripent parce qu’il y a plusieurs pièces et pas mal de travail à faire!», lance Mme Gagné.
Des ballots de cartons plats, c’est-à-dire des paquets de cartons plastifiés entremêlés de fibre, du carton régulier, prennent également la route de la Chine. «En Amérique du Nord, ce n’est pas tous les papiers qui sont acceptés dans les moulins. Ici, la machinerie n’est pas adaptée pour le carton plat. En Chine, ils les traitent et si les ballots ont trop de fibres, ils ne les aiment pas», ajoute Mme Gagné.
Si autrefois, les importateurs chinois acceptaient pratiquement toute la marchandise dite bas de gamme, les mentalités commencent à changer. «Ils sont de plus en plus sélectifs. Ils commencent à acheter moins n’importe quoi. Avant, ils voulaient acheter des ballots de matières que l’on rejetait. Je ne voulais pas leur en vendre, d’autres l’ont fait. Les Chinois ont aussi vu qu’il y avait des pertes, qu’ils ne pouvaient pas tout transformer», indique Julie Gagné.
Mieux que rien
Ironie du sort, les fameuses matières recyclables boudées par des entreprises de chez nous reprennent la route vers l’Amérique du Nord une fois transformées en nouveaux objets qui se retrouvent à nouveau sur les tablettes de nos commerces. Malgré tout, il s’agit de la meilleure chose à faire d’un point de vue environnemental, selon Éric Ferland, directeur du groupe Écosphère.
«Tant qu’à ce que les matières finissent dans un site d’enfouissement, je préfère qu’elles partent pour la Chine. Les paquebots ne retournent pas non plus avec des conteneurs à moitié vides. Évidemment, la situation idéale serait d’avoir les usines ici au Québec, mais ça prend des subventions», dit-il. Le problème est que la majorité des moulins aptes à transformer le carton plat ont fermé leurs portes. «L’Amérique du Nord n’est pas capable de compétitionner contre la Chine, notamment au niveau des coûts», mentionne quant à lui, Michel Quinn de RockTenn.