La prohibition à l’honneur à Sutton

Un bar clandestin, un bordel, une cabane de contrebandiers… et Al Capone. La prohibition des années 1920 et 1930 refait surface jusqu’au 27 octobre au Musée des communications et d’histoire de Sutton, dans le cadre de l’exposition Prohibition qui a ouvert ses portes jeudi dernier.

En entrant dans le musée de la rue Principale Sud, le visiteur saute à pieds joints dans les années folles. Une ligne pointillée tracée au sol démarque la frontière canado-américaine. «Si tu vas à gauche, tu vas au Canada, à droite, aux États-Unis», lance Richard Leclerc, président du conseil d’administration du musée et qui a eu l’idée originale de cette exposition temporaire.

Si l’an passé, l’exposition portant sur Jehane Benoit a attiré 2200 visiteurs, les organisateurs souhaitent doubler ce chiffre. «C’est audacieux, mais le buzz est bon. La prohibition, c’est très porteur. On parle d’alcool et de sexe», indique Richard Leclerc.

Ce dernier ajoute que le marché américain est aussi visé. «C’est une histoire commune. L’exposition a été traduite au complet par Tim Griss, un ancien conseiller municipal de Sutton», note M. Leclerc.

Photographies, uniforme d’époque, film, piano noir, alambics, avec cette exposition, le musée propose une riche collection d’artefacts.

La Sûreté du Québec a prêté une demi-douzaine d’objets patrimoniaux, dont un alambic saisi et un uniforme, de même qu’une centaine de photographies. Le Musée Missisquoi a prêté environ le tiers des accessoires, tandis que Peter McAuslan a fourni environ 20% de la collection. «Il y a aussi des choses qui nous sont prêtées par la MRC de Memphrémagog et le Musée de Sutton. On avait quelques accessoires nous-mêmes. C’est une belle collaboration», mentionne Richard Leclerc. Un film d’une quinzaine de minutes, réalisé par Jean-François Hamelin, est aussi présenté durant l’exposition. «La télé a été encadrée et intégrée dans le bar», précise M. Leclerc.

Al Capone dans Brome-Missisquoi?

Par son implication à la lutte à contrebande, la Sûreté du Québec (SQ) participe à cette nouvelle exposition. «La SQ a des ancêtres et est issue de la fusion de plusieurs polices provinciales. Dans les années 1920, la Police de liqueurs [qui a été mise en place par la Commission des liqueurs, l’ancêtre de la Société des alcools du Québec] était en charge de lutter contre la contrebande d’alcool», explique Yannick Cormier, conseiller au patrimoine et au protocole au Service des communications institutionnelles et du protocole à la SQ.

Le spécialiste explique qu’à cette époque, il n’était pas rare de voir les réseaux criminels construire des maisons sur la frontière, dont la moitié se trouvait aux États-Unis et l’autre au Canada. «Ça a donné lieu à des imbroglios juridiques qui sont réglés aujourd’hui. Il était fréquent de voir un bordel ouvrir en sol américain et un bar en territoire canadien où l’alcool était permis», indique-t-il. Rappelons qu’à cette époque, la province du Québec était le seul endroit en Amérique du Nord, à l’exception de Saint-Pierre et Miquelon, où l’alcool était permis. Le président Roosevelt l’a décriminalisé en 1932, ce qui a fait chuter la contrebande d’alcool.

Forcée de collaborer avec d’autres corps policiers, la Police des liqueurs a mis en place des équipes volantes afin de démanteler des réseaux criminels. «L’essentiel de leurs activités était sur les frontières. Les bootleggers [les passeurs cachaient l’alcool dans leurs bottes] faisaient passer de l’alcool frelaté ou de fabrication clandestine pour vendre ça au crime organisé américain», précise M. Cormier.

Ce dernier fait même référence à Al Capone, le plus célèbre des gangsters américains. «Il n’était pas rare de voir les membres de la Police des liqueurs se frotter aux membres du crime organisé, dont les hommes d’Al Capone. Dans Brome-Missisquoi, les activités criminelles étaient assez rough. Il y a eu des règlements de compte assez importants. Il y a même des légendes urbaines qui disent qu’Al Capone est venu sur la frontière», raconte Yannick Cormier.

À la fin des années 1920, le chef de police de Coaticook, spécialisé dans les bootleggers a été retrouvé mort dans des circonstances mystérieuses sur la frontière américaine. «C’est une époque très peu connue, mais qui a marqué la région compte tenu de la situation frontalière», précise le spécialiste.

Ce dernier ne cache pas que la lutte à la contrebande d’alcool dans les années 1920 fut un échec, mais pas parce que les policiers étaient corrompus. «Ils manquaient de moyens pour lutter contre un crime qui n’était pas considéré par beaucoup de gens comme un crime. Il y avait trop de contrebandiers pour que les policiers puissent répondre de façon adéquate. Les leçons y furent importantes, car elles permirent de mettre en place de grands services d’enquêtes criminelles et de développer l’expertise policière au Québec», conclut-il.

L’exposition Prohibition, présentée au Musée de Sutton (situé au 32, rue Principale Sud), est accessible au public les samedis et dimanches de midi à 16 heures jusqu’au 27 octobre. Pour information : http://www.prohibitionsutton.org