Les anglos: moins nombreux, aussi fiers
La population anglophone des Cantons-de-l’Est a baissé de moitié en un siècle et demi, passant de 89 748 personnes en 1861 à 57 993 en 1931 et à 42 300 en 2006. Malgré tout, les anglos n’ont rien perdu de leur fierté, ni de leur sentiment d’appartenance et mettent tout en œuvre pour préserver leur identité. Leurs écoles, médias et lieux de diffusion culturelle comptent souvent parmi les plus dynamiques de la société québécoise.
«Comme plusieurs de nos églises ont fusionné ou ont fermé leurs portes, les écoles et les associations contribuent encore davantage à a préservation de notre identité», indique le président de la Commission scolaire Eastern Townships, Michael Murray.
Neuf ans après l’introduction des premiers ordinateurs portables dans ses écoles, la CS Eastern Townships est devenue une référence dans l’enseignement de l’informatique et fait l’envie de plusieurs autres commissions scolaires, tant francophones qu’anglophones.
«Par le passé, seuls les enfants issus des familles les mieux nanties avaient accès à un laptop. En fournissant un ordi à tous nos élèves, nous avons réussi à mettre toute le monde au même niveau. L’utilisation régulière de l’ordi dans les salles de classe a également contribué à faire chuter le taux de décrochage scolaire tout en aidant nos élèves à obtenir de meilleurs résultats scolaires», ajoute M.Murray.
Une population en décroissance
Une étude réalisée par Joanne Pocock et Brenda Hartwell, pour le compte de l’Association des Townshippers, nous apprend que la région a été ouverte à la colonisation en 1792. Plusieurs familles de Loyalistes ont pris racine dans ce coin de pays, la première vague d’immigration étant rapidement suivie par l’établissement de pionniers américains à la recherche de bonnes terres.
Au début du 19e siècle, des immigrants d’Irlande, d’Écosse, du Pays de Galle et d’Angleterre sont venus grossir les rangs. Plus tard, des vagues d’immigrants venus d’Allemagne, de Suisse et des Pays-Bas ont été accueillis au sein de la communauté d’expression anglaise.
Les anglophones ont toujours eu tendance à être très mobiles et plusieurs ont quitté le Québec pour une autre province canadienne au fil des ans. Au cours de la décennie1976-1986 seulement, 70 035 des 96 980 Québécois de 20 à 64 ans ayant émigré vers une autre partie du Canada utilisaient l’anglais comme langue maternelle. Aujourd’hui, la tendance des jeunes professionnels instruits d’expression anglaise à s’établir au-delà des frontières du Québec et du Canada se poursuit (Floch et Pocock, 2008).
J.Pocock et B.Hartwell signalent également au passage que «les lois linguistiques restreignant l’accès aux écoles anglaises et les politiques sélectives en matière d’immigration ont restreint les avenues de croissance sur lesquelles pouvait compter la communauté anglophone dans ses années de plus grande vigueur».
Après avoir connu un sommet à la fin du 19<V>e<V> siècle, l’importance des anglophones au sein de la population des Cantons-de-l’Est n’a jamais cessé de diminuer jusqu’à ce jour: 58 % en 1861, 32 % en 1901, 11 % en 1971 et 6,2 % en 2006.
Pour la première fois depuis des générations, la population anglophone des Cantons-de-l’Est a augmenté entre deux recensements, passant de 40 308 en 2001 à 42 300 en 2006, note W.Floch dans une communication présentée à l’Association des Townshippers.
Vieillissement et appauvrissement
L’étude de J.Pocock et B.Hartwell relèvent également un écart important au chapitre du vieillissement de population entre les communautés anglophone et francophone des Cantons-de-l’est. En 2006, 21,6 % des anglophones et 13,6 % des francophones de cette région avaient déjà franchi le cap des 65 ans.
«Durant la période 2001-2006, le nombre d’anglophones de moins de 15 ans a diminué de 11,6 %, passant de 6 593 à 5 808. Une telle tendance n’augure pas bien pour la vitalité à long terme d’une communauté», affirment les deux auteures.
Le profil de la population anglophone des Cantons-de-l’Est se caractérise aussi par une absence de plus en plus marquée du groupe des 35-54 ans. Selon N.Kishchuk, l’absence de la génération médiane-moyenne (middle-middle) se fait notamment sentir dans le secteur communautaire et serait en partie responsable du «déclin du bénévolat dont dépendent tellement d’organismes et de services».
Les jeunes anglophones continuent de s’en aller et ceux qui restent (15-44 ans) présentent des vulnérablilités socioéconomiques croissantes.
«En 1971, les anglophones du Québec possédaient un niveau de scolarité plus élevé que celui des autres Québécois et Canadiens. Selon des données du recensement de 2001, cet avantage a largement disparu», note W.Floch.
Le même auteur décrit par ailleurs le chômage comme un problème majeur au sein de cette communauté. Selon le recensement de 2006, 8,1 % des anglophones des Cantons-de-l’Est étaient sans emploi, comparativement à 6,2 % chez les francophones de la même région. Le taux de chômage chez les 15-24 ans de langue anglaise est deux fois plus élevé que celui des jeunes de langue française.
Le recensement de 2006 révèle par ailleurs qu’une grande proportion (46,9 %) des anglophones des Cantons-de-l’Est gagnent moins de 20 000 $ par année.
Culture et identité
L’étude de J.Pocock et B.Hartwell décrit la vie artistique et culturelle de la communauté d’expression anglaise comme l’une de ses principales forces.
«Dans la région de l’Estrie, les anglophones sont deux fois plus nombreux que les francophones à travailler dans le domaine des arts et de la culture. Il s’agit du ratio minorité/majorité le plus élevé dans tout le Québec», notent les auteures.
Un rapport du Réseau des villes créatives du Canada, cité par K.Hill, signale que «les arts et le patrimoine sont perçus non seulement comme des agréments pour améliorer la qualité de la vie, mais comme un fondement sur lequel repose l’avenir des petites communautés rurales».
J.Pocock et B.Hartwell estiment qu’une minorité d’expression anglaise dynamique et en santé ne peut que profiter à l’ensemble de la population des Cantons-de-l’Est.
«La communauté anglophone possède un énorme potentiel de créativité et de sens de l’innovation. De nombreux Townshippers anglophones ont un solide attachement à l’égard de la région et sont plus que désireux de contribuer au dynamisme de la société québécoise», affirment les deux auteures.