Les Cubains sont confrontés à un manque de liquidités dans le pays

LA HAVANE — Les Cubains sont confrontés à un nouvel obstacle dans la navigation du système monétaire déjà compliqué de l’île: le manque de liquidités.

De longues files d’attente devant les banques et les distributeurs automatiques de la capitale, La Havane, et au-delà commencent à se former tôt dans la journée, alors que les citoyens recherchent de l’argent liquide pour des transactions courantes comme acheter de la nourriture et d’autres produits essentiels.

Les experts estiment que cette pénurie s’explique par plusieurs raisons, toutes liées d’une manière ou d’une autre à la profonde crise économique que traverse Cuba, l’une des pires depuis des décennies.

Omar Everleny Pérez, économiste cubain et professeur d’université, estime que les principaux responsables sont le déficit budgétaire croissant du gouvernement, l’absence de billets de banque d’une valeur nominale supérieure à 1000 pesos cubains, l’inflation obstinément élevée et le non-retour de l’argent liquide dans les banques.

«Il y a de l’argent, oui, mais pas dans les banques», a expliqué M. Pérez, ajoutant que la plupart des liquidités sont détenues non pas par des travailleurs salariés, mais par des entrepreneurs et des propriétaires de petites et moyennes entreprises qui sont plus susceptibles de collecter des liquidités lors de transactions commerciales, mais qui sont réticents à retourner l’argent aux banques.

Selon M. Pérez, cela est dû au fait qu’ils ne font pas confiance aux banques locales, ou simplement parce qu’ils ont besoin de convertir les pesos cubains en devises étrangères.

La plupart des entrepreneurs et propriétaires de petites entreprises cubaines doivent importer presque tout ce qu’ils vendent ou payer en devises étrangères pour le matériel nécessaire au fonctionnement de leur entreprise. Ainsi, beaucoup finissent par accumuler des pesos cubains pour ensuite les changer en devises étrangères sur le marché noir.

La conversion de ces pesos cubains en d’autres devises pose encore un autre défi, car il existe plusieurs taux de change très fluctuants sur l’île.

Par exemple, le taux officiel utilisé par les industries et les agences gouvernementales est de 24 pesos pour un dollar américain, tandis que pour les particuliers, le taux est de 120 pesos pour un dollar. Cependant, le dollar peut atteindre jusqu’à 350 pesos cubains sur le marché informel.

M. Pérez note qu’en 2018, 50 % de l’argent liquide en circulation était entre les mains de la population cubaine et l’autre moitié dans les banques cubaines. Mais en 2022, la dernière année pour laquelle des informations sont disponibles, 70 % des espèces se trouvaient dans les portefeuilles des particuliers.

Les autorités monétaires cubaines n’ont pas immédiatement répondu à la demande de commentaires envoyée par courriel par l’Associated Press.

La pénurie de liquidités survient alors que les Cubains sont aux prises avec un système monétaire complexe dans lequel circulent plusieurs monnaies, dont une monnaie virtuelle, la MLC, créée en 2019.

Puis, en 2023, le gouvernement a annoncé plusieurs mesures visant à promouvoir une «société sans liquidités», rendant obligatoire l’utilisation des cartes de crédit pour payer certaines transactions – notamment les achats de nourriture, de carburant et d’autres biens de première nécessité – mais de nombreuses entreprises refusent tout simplement de les accepter.

Pour ne rien arranger, l’inflation reste obstinément élevée, ce qui signifie qu’il faut de plus en plus de billets de banque pour acheter des produits.

Selon les chiffres officiels, l’inflation a augmenté à 77 % en 2021, puis est tombée à 31 % en 2023. Toutefois, pour le Cubain moyen, les chiffres officiels reflètent à peine la réalité de sa vie, puisque l’inflation du marché peut atteindre jusqu’à trois chiffres sur le marché noir. Par exemple, un carton d’œufs, vendu 300 pesos cubains en 2019, se vend aujourd’hui environ 3100 pesos.

Et ce, alors que le salaire mensuel des fonctionnaires cubains oscille entre 5000 et 7000 pesos cubains (entre 14 $ et 20 $ sur le marché noir).

«Vivre dans une économie qui, en plus d’avoir plusieurs monnaies, a plusieurs taux de change et une inflation à trois chiffres, c’est assez compliqué», a déclaré Pavel Vidal, expert de Cuba et professeur à l’Université Javeriana de Cali, en Colombie.