135 recommandations pour redresser la situation à l’urgence de l’Hôpital du Lakeshore

MONTRÉAL — L’enquêtrice indépendante chargée de faire la lumière sur des révélations troublantes concernant plusieurs décès survenus à l’urgence de l’Hôpital général du Lakeshore, à Pointe-Claire, formule 135 recommandations dans un rapport déposé jeudi.

En conférence de presse sous un cuisant soleil à l’extérieur de l’établissement, l’enquêtrice Francine Dupuis a soutenu que malgré l’ampleur du chantier qui attend l’équipe du Lakeshore, elle se dit optimiste.

«Il faut le voir comme un escalier que l’on monte une marche à la fois», a résumé l’infirmière de formation et ex-présidente-directrice générale adjointe du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

Des tâches à accomplir ont été identifiées par profession afin que chacune fasse sa part.

«C’est un travail d’équipe. Il faut que ce soit fait ensemble. Je prône beaucoup la décentralisation, mais ça vient avec la responsabilisation», a-t-elle mentionné.

Bien que le portrait d’ensemble soit assez sombre, l’enquêtrice estime que les soins offerts à la population demeurent sécuritaires. «Je suis certaine que tout le monde est très précautionneux actuellement pour faire les bonnes choses», a-t-elle répondu.

À la suite d’une enquête publiée par le média The Gazette, le ministre de la Santé, Christian Dubé, avait déclenché une enquête le 28 février dernier. Le ministère a ensuite confié ce mandat à Mme Dupuis.

Dans son rapport, elle explique que son mandat consistait à «tenter d’identifier des points d’amélioration pour l’avenir de l’urgence». Pour y parvenir, elle souligne avoir rencontré près de 70 personnes de tous les niveaux de la hiérarchie.

Elle décrit une urgence «cristallisée dans les mauvaises habitudes», où les problèmes de communication mènent à une incapacité à mettre en place les changements recommandés dans le passé.

L’autrice révèle l’existence d’une «habitude de blâmer autrui» à l’Hôpital général du Lakeshore. Elle fait état d’un environnement de travail «toxique» à l’urgence, où les tensions sont grandes autant entre les divers corps d’emploi qu’entre les niveaux hiérarchiques.

«Beaucoup d’énergie est consacrée à se défendre et à blâmer l’autre», écrit Mme Dupuis en ajoutant que cela entraîne un non-respect des règles.

Elle insiste sur l’importance de renforcer la communication dans toutes les directions, soit du bas vers le haut, du haut vers le bas ainsi que de manière transversale. Un élément clé, selon elle, «pour rétablir la confiance mutuelle» au sein du personnel.

Ses 135 recommandations à implanter sont réparties en six axes, qui traitent notamment de décentralisation, de responsabilisation, d’assurance qualité, de communication, de plan d’action concret et de rénovation des installations.

Les murs avant la culture

En réaction au rapport Dupuis, le président-directeur général du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Dan Gabay, a adopté un ton positif et a souligné que plusieurs recommandations provenant de rapports précédents étaient déjà en cours de réalisation.

De plus, il a annoncé trois premières actions qui visent principalement l’aménagement des lieux et la technologie. Une unité modulaire temporaire doit notamment être déployée cet automne pour remplacer l’urgence vétuste jusqu’à ce qu’elle soit adéquatement rénovée.

Actuellement, l’urgence est aménagée au cœur d’une série de couloirs de béton aux nombreux angles morts qui permettent difficilement au personnel de bien observer les patients.

On prévoit aussi aménager une clinique externe, où les patients qui ne requièrent pas de soins urgents pourront être redirigés et pris en charge. Finalement, on promet le déploiement d’un dossier médical électronique fonctionnel d’ici deux ans.

Ces mesures sont certes nécessaires, mais aucune d’entre elles ne s’attaque à l’environnement de travail toxique qui ronge l’urgence de l’intérieur.

En entrevue à La Presse Canadienne, Dan Gabay affirme avoir été étonné de lire ce constat dans le rapport Dupuis. Il dit vouloir investiguer et demander une étude de climat de travail à son service de ressources humaines.

Pour le syndicat des infirmières, les promesses de la direction sont «de la poudre aux yeux». «C’est bien beau l’unité modulaire, mais est-ce qu’on va avoir assez d’infirmières?», s’interroge la présidente de l’unité locale de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), Johanne Riendeau.

«Il manque énormément d’effectifs infirmiers et il manque d’expertise», explique-t-elle en ajoutant que parfois aucune infirmière n’est adéquatement formée au sein de l’équipe en poste pour répondre à des cas graves de patients en choc.

Six décès troublants

Dans une série de reportages, le journaliste Aaron Derfel a révélé des détails inquiétants au sujet de plusieurs décès qualifiés d’«évitables» par des membres du personnel soignant. On pouvait également y lire des allégations selon lesquelles la direction de l’établissement aurait tenté de «cacher la vérité» entourant ces incidents.

La série de reportages recensait six cas depuis 2019.

«Les faits rapportés sont très préoccupants, avait réagi le ministre Dubé dans une déclaration transmise par son cabinet. Soyons clairs: nous ne faisons aucun compromis sur la santé et la sécurité des patients.»

Un premier rapport avait été rédigé par une médiatrice et déposé en novembre 2022. Elle y recommandait une série de correctifs à implanter à l’urgence. Elle décrivait alors l’endroit comme «une bombe à retardement» en raison des conditions précaires des lieux.

Le ministre Christian Dubé avait promis «un suivi très serré du dossier».

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