Bill Blair blâme le directeur du SCRS, qui ne l’aurait pas informé de l’affaire Chong

OTTAWA — Bill Blair impute au directeur du SCRS, David Vigneault, le fait que le ministre de la Sécurité publique n’ait pas reçu la note d’avertissement concernant le ciblage présumé du député conservateur Michael Chong et de sa famille, par un diplomate chinois.

Selon M. Blair, qui était à l’époque ministre de la Sécurité publique, le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a déterminé qu’«il ne s’agissait pas d’informations que le ministre avait besoin de connaître».

M. Blair a fait ces commentaires jeudi lors d’une réunion du Comité de la procédure et des affaires de la Chambre, qui est chargé d’enquêter sur les allégations selon lesquelles des députés auraient été la cible d’ingérences étrangères.

L’ex-ministre de la Sécurité publique témoignait quelques jours après la publication du rapport préliminaire de David Johnston. Le rapporteur spécial a conclu qu’il y avait de sérieux problèmes avec la façon dont le gouvernement traitait les informations confidentielles.

Le rapport de l’ex-gouverneur général a aussi conclu que le SCRS était au courant d’indications selon lesquelles des responsables chinois envisageaient d’agir contre des députés canadiens. Mais le rapport ne conclut pas à de la négligence aux plus hauts échelons politiques du gouvernement. 

M. Johnston conclut aussi que les renseignements sur les responsables chinois à la recherche d’informations sur le député conservateur Michael Chong ne sont parvenus au premier ministre, au ministre actuel de la Sécurité publique ou à M. Chong lui-même qu’après avoir été divulgués et rapportés par les médias.

La note est tombée dans un «trou noir»  

Invitée au même comité parlementaire, jeudi, la conseillère à la sécurité nationale auprès du premier ministre, Jody Thomas, a indiqué qu’en 2021, la note de service avait été transmise aux sous-ministres de la Sécurité publique, des Affaires mondiales et de la Défense nationale. Mais elle a admis que la note était tombée dans un «trou noir» et n’avait pas été partagée avec les personnes appropriées à Ottawa.

Mme Thomas était alors sous-ministre de la Défense nationale et elle a donc été l’une des trois personnes à recevoir la note de service. Mais elle a affirmé qu’elle ne l’avait pas vue car elle était en congé au moment de l’envoi, et que la note aurait été détruite au bout d’un certain temps, pour des raisons de sécurité.

Cette note de service ne mentionnait pas spécifiquement M. Chong. Mais selon le rapport Johnston, une note supplémentaire, envoyée au ministre Blair et à son sous-ministre, faisait état de renseignements selon lesquels la République populaire de Chine avait l’intention de cibler le député Chong et un autre député non identifié.

À l’époque, le SCRS avait l’intention d’offrir à M. Chong et à un autre député, non identifié, une séance de breffage, selon le rapport de M. Johnston. Le député Chong a déclaré qu’il avait eu droit à cette séance d’information, mais elle n’offrait aucun détail sur une menace à sa famille. 

Mme Thomas a déclaré que la note de service sur le député Chong avait été transmise au Bureau du Conseil privé en juillet 2021 et avait été soumise le mois suivant à son prédécesseur, David Morrison, aujourd’hui sous-ministre des Affaires étrangères.

Mais la conseillère à la sécurité nationale et au renseignement n’a pas voulu expliquer pourquoi cette note n’avait pas été partagée à ce moment-là avec le premier ministre, le député Chong ou d’autres personnes concernées. «Je ne vais pas rendre compte de ce qui s’est passé avec mon prédécesseur», a-t-elle déclaré au comité.

Dans son rapport préliminaire, M. Johnston confirme que le SCRS a également transmis des informations sur le ciblage dont faisait l’objet M. Chong au ministre de la Sécurité publique et à son chef de cabinet, via une plateforme de messagerie électronique ultrasecrète, mais qu’ils ne les avaient jamais reçues. 

Des responsables au sein de la fonction publique fédérale ont expliqué au rapporteur spécial que le ministre et son chef de cabinet n’avaient pas accès au bon système de messagerie.

Mme Thomas a estimé jeudi que les responsables de la sécurité auraient dû s’assurer que les informations se rendaient à bon port. Elle soutient que si le ministre Blair n’a pas vu ses informations, ce n’est surtout pas à cause d’un manque d’accès au système de messagerie, puisque de toute façon, «le ministre Blair aurait reçu une liste de lecture», a-t-elle déclaré.

«Terminaux ultrasecrets»

Bill Blair a déclaré jeudi après-midi devant le même comité que lui aussi avait été informé pour la première fois dans les médias des menaces visant M. Chong. Il a assuré que s’il avait été informé de menaces visant un député, il aurait agi.

M. Blair a expliqué aux membres du comité qu’il n’y avait pas de compte de messagerie où des informations ultrasecrètes étaient partagées, mais des «terminaux ultrasecrets» — sauf qu’il n’avait pas accès à l’un de ces terminaux dans ses bureaux.

«Si (le SCRS) devait déterminer qu’il n’est pas nécessaire de partager des informations avec nous — et je n’ai pas connaissance que ce soit arrivé —, je n’aurais pas la possibilité d’agir en conséquence», a-t-il déclaré. Il a soutenu que les questions sur les raisons pour lesquelles l’information n’avait pas été partagée avec lui devraient être soumises au directeur du SCRS, David Vigneault.

Il a expliqué que lorsque le SCRS voulait partager des informations avec lui, il était amené dans une installation sécurisée et informé avec des documents imprimés. «Je ne dis pas que le SCRS a délibérément retenu des informations. Ils ont pris une décision (…) sur la crédibilité et le sérieux des renseignements recueillis.»

Jody Thomas a par ailleurs déclaré aux députés que des mesures avaient été prises pour assurer un meilleur flux d’informations depuis son arrivée au poste de conseillère à la sécurité nationale en 2022. Elle a ajouté qu’on en faisait encore davantage à Ottawa pour s’assurer que les responsables sachent comment utiliser ces renseignements.

Le gouvernement libéral a récemment publié une directive selon laquelle toute menace contre un député, sa famille ou son personnel doit être portée à l’attention des plus hautes sphères politiques, même si le SCRS ne juge pas cette menace sérieuse ou légitime.

Le gouvernement a aussi expulsé le diplomate chinois Zhao Wei en mai, l’accusant d’être impliqué dans un complot visant à intimider le député Chong et ses proches à Hong Kong. M. Chong avait plus tôt parrainé avec succès une motion en Chambre qualifiant de génocide le traitement réservé par Pékin aux musulmans ouïghours en Chine.

Mme Thomas a déclaré aux députés jeudi que des mandataires de diplomates étrangers au Canada continuaient de «travailler à l’encontre des intérêts de la diaspora». Elle a hésité à chiffrer le nombre de ces personnes impliquées ou à parler davantage de ce que leurs activités impliquaient, citant des enjeux de sécurité nationale.