Climat: manger 20 pour cent moins de steak peut avoir un effet bœuf

MONTRÉAL — Selon une étude publiée par la revue Nature il y a quelques jours, si les humains remplaçaient seulement 20% de leur consommation de bœuf par un substitut de viande d’ici 2050, on pourrait réduire de moitié la déforestation et les émissions de gaz à effets de serre associées à l’agriculture, mais changer la viande pour les protéines, implique de grands changements dans le monde agricole. 

L’étude, menée par Florian Humpenöder, chercheur à l’Institut de recherche sur l’impact du changement climatique à Potsdam en Allemagne, avance que si les méthodes agricoles restent les mêmes et que les habitudes de consommation ne changent pas, le taux annuel de déforestation lié à l’agriculture à l’échelle mondiale, devrait doubler dans les 30 prochaines années.

Toutefois, si on remplaçait 20% du bœuf consommé par des mycoprotéines, des protéines de champignons qui servent à fabriquer de fausses viandes végétales, la demande pour le bœuf stagnerait et les humains pourraient éviter la moitié de la déforestation et des émissions de méthane causées par l’élevage des bovins.

Les conclusions de l’étude n’étonnent pas Carole-Anne Lapierre, analyste en agriculture et systèmes alimentaires chez Équiterre, qui souhaiterait que des études soient aussi réalisées sur les autres types de protéines végétales. 

«On n’a pas besoin d’arrêter toute notre consommation de viande pour avoir un impact sur le climat», indique l’agronome qui reconnaît toutefois que changer ses habitudes alimentaires représente parfois un défi.

«Il faut apprendre à cuisiner, il faut s’habituer aux nouveaux goûts, il faut changer nos habitudes d’achat et de recettes», un processus qui peut être plus compliqué pour certaines personnes. 

Selon un sondage de la firme Léger menée en 2019, près de 9 % des Canadiens étaient végétariens ou végétaliens, alors que 26 % se déclaraient flexitariens, donc ils souhaitaient réduire leur consommation de viande sans être exclusivement végétariens. Toujours selon l’enquête, 35 % de la population canadienne déclaraient consommer peu ou pas de viande, principalement pour des questions d’éthique et de santé.

Changer radicalement ses habitudes alimentaires pour limiter les catastrophes climatiques

En 2019, la Commission EAT-Lancet, qui a réuni 37 scientifiques de renoms des milieux de la santé publique, l’agriculture, les sciences politiques et la durabilité environnementale, a conçu un régime alimentaire qui permettrait de limiter les changements climatiques tout en promouvant la santé humaine.

Selon ces scientifiques, pour nourrir 10 milliards d’humains en 2050 sans détruire les écosystèmes, il faudrait transformer radicalement le système alimentaire mondial.

Plus spécifiquement, «la consommation mondiale de fruits, légumes, noix et légumineuses devra doubler et la consommation d’aliments tels que la viande rouge et le sucre devra être réduite de plus de 50%».  

Santé Canada plaide également qu’il est nécessaire d’entamer un virage vers les aliments végétaux, comme en témoigne le dernier guide alimentaire.

À grande échelle, un tel virage permettrait d’avoir des pratiques agricoles plus durables et respectueuses de l’environnement, mais impliquerait également un changement important dans la façon dont les terres agricoles sont utilisées.

Utiliser les terres pour nourrir les humains plutôt que les animaux

Actuellement, 80 % des grains produits au Québec sont utilisés pour l’alimentation animale et 75% des superficies cultivées produisent des cultures, essentiellement du maïs et du soja, destinées à l’alimentation des bêtes selon le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation. 

Nous utilisons donc les terres cultivables principalement pour nourrir des animaux qui serviront ensuite de nourriture aux humains. 

Plusieurs organismes, dont Équiterre, plaident pour que les terres agricoles servent principalement à nourrir les gens.

«Un changement de régime alimentaire doit aller de pair avec un changement de cette proportion dans les champs», avance l’agronome Carole-Anne Lapierre.

Pour améliorer le bilan climatique de l’agriculture, qui est responsable d’environ 10% des GES au Québec, Équiterre propose des solutions basées sur la nature, qui contribuent à la santé des sols, dont font partie plusieurs pratiques incluant la diversification des produits cultivés.

La diversification des cultures est également une solution mise de l’avant par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Mais l’intégration de nouvelles cultures représente un défi pour certains agriculteurs.

«La société en demande souvent plus aux agriculteurs sans comprendre à quel point c’est difficile d’être agriculteur», souligne Carol-Anne Lapierre.

Elle plaide pour de meilleures politiques d’accompagnements pour les agriculteurs qui souhaitent faire la transition, soulignant une étude de l’organisation canadienne des « Fermiers pour la Transition Climatique» qui souligne que par acre, les États-Unis et l’Union européenne consacrent respectivement des budgets 13 et 73 fois plus élevés que le Canada pour les programmes agro-environnementaux.

«Les agriculteurs n’ont pas beaucoup de marges de profits» pour essayer de nouvelles pratiques, ajoute l’agronome qui explique qu’il est compliqué de convaincre un agriculteur de se lancer dans la production de nouvelles cultures, comme les protéines végétales, s’il n’est pas convaincu que le marché est prêt à accueillir ce type de produit.

Mais si on se fie aux prévisions du groupe Market Data Forecast, il semble que la population aura de plus en plus d’appétit pour les protéines qui ne sont pas animales. La firme qui se spécialise dans les analyses de marché prévoit que celui de la protéine végétale pourrait doubler d’ici 2026, passant d’environ 23 milliards $ CAN à 48 milliards $, à l’échelle mondiale.