Des soldats ont été sévèrement punis à cause de leur orientation sexuelle

OTTAWA — Des soldats canadiens de la Première Guerre mondiale ont été sévèrement punis à cause de leur orientation sexuelle, indique une chercheuse de Terre-Neuve-et-Labrador.

Sarah Worthman, une étudiante à la maîtrise à l’Université Memorial, a recueilli des exemples de cette persécution vécue notamment par les soldats LGBTQ+.

Ses découvertes ont été publiées par le Le Fonds Purge LGBT, une organisation sans but lucratif, sur sa page internet. L’étudiante avait été mise sur la piste de ces militaires en faisant une recherche pour le ministère des Anciens Combattants.

Parmi les histoires racontées par Mme Worthman figure celle de Frederick Lea Hardy, un soldat âgé de 17 ans qui est mort sur la crête de Vimy, en France. Son corps n’a jamais été retrouvé.

Peu de temps avant sa mort, l’adolescent avait été condamné à 18 mois de travaux forcés en milieu carcéral. Son crime? Comme au moins 19 membres du Corps expéditionnaire canadien,  il avait dû répondre à des accusations pour «relations consensuelles entre personnes queers», considérées à l’époque comme une grossière indécence.

À son procès, cinq capitaines vinrent témoigner à son procès, décrivant de manière très crue la relation sexuelle qu’ils avaient surprise. 

«On ne peut que tenter d’imaginer l’humiliation ressentie par Frederick, un jeune fermier manitobain contraint de se représenter lui-même, et à qui on refusa un procès devant un jury constitué de ses pairs», raconte Mme Worthman.

Cinq soldats ont été incarcérés pour des peines allant de 90 jours à un an, souvent dans des conditions misérables. Parmi eux, un soldat québécois: Joseph Quirion, originaire de Beauceville. Membre du 10e Bataillon de réserve et basé dans un camp en Angleterre, il a été surpris dans un cabinet de toilette en compagnie d’un autre homme. Au terme d’un procès «humiliant», il est condamné à un an de prison. Il sera libéré au bout de quatre mois avant d’être blessé à la bataille de Passchendaele.

«Humilié publiquement et incarcéré en raison de sa sexualité, Joseph Quirion s’en est malgré tout relativement bien tiré comparativement à d’autres ayant écopé de peines beaucoup plus sévères en cour martiale», écrit Mme Worthman.

Mme Worthman, qui est directrice générale de la Newfoundland and Labrador Queer Research Initiative, a étudié quelque 200 dossiers de justice.

«La façon dont ces dossiers ont été classés, c’est un fouillis, déplore-t-elle. Je les ai lus pendant de longues heures dans mon petit bureau, fixant ces mots écrits à la main en lettres attachées, cherchant à interpréter ce qu’ils signifiaient.»

Mme Worthman a préféré utiliser le terme «queer» tout au long de son mémoire. «Ce choix s’inscrit dans les mouvements contemporains pour se le réapproprier pour en faire un terme générique qui englobe tant le genre que la sexualité», explique-t-elle. De plus, les mots comme «gai», «bisexuel», «transgenre», et même «homosexuel» sont des «marqueurs identitaires relativement modernes».

Elle souligne que quatre officiers ont été dégradés ou renvoyés de l’armée en raison de leur sexualité pendant ce conflit. Ils ont dû se soumettre à une cérémonie humiliante au cours de laquelle les épaulettes, insignes et autres marques de statut de l’officier étaient détruits.

«La pratique ne venait pas qu’anéantir son statut social; elle le privait aussi de sa pension militaire», écrit l’autrice.

Ces cérémonies étaient aussi largement rapportées par les journaux de tranchée. «Un tel étalage public servait à semer la peur chez les personnes queers de sorte qu’elles n’osent s’aventurer à l’extérieur du placard», écrit-elle.

Mme Worthman croit que l’on peut honorer la mémoire de ces militaires en lisant leur histoire. Elle aimerait bien qu’une plaque commémorative soit dévoilée ou qu’une couronne soit déposée pour leur rendre hommage.

«La persécution de notre communauté pendant la Grande Guerre et la purge 2SLGBTQ+, à l’époque de la guerre froide, n’a rien d’un cas isolé dans l’histoire de notre nation. On devrait plutôt y voir un prolongement des pratiques homophobes de longue date au gouvernement du Canada», souligne-t-elle.

En 2017, le gouvernement canadien avait présenté ses excuses aux communautés LBGTQ+, notamment aux militaires. «Vous n’étiez pas de mauvais soldats, marins ou aviateurs. Vous n’étiez pas des prédateurs. Vous n’étiez pas des criminels, avait alors déclaré le premier ministre Justin Trudeau. Vous avez servi votre pays avec intégrité et vous en êtes des vétérans.»