Le tireur de la mosquée de Québec obtient gain de cause en Cour suprême

OTTAWA — Il est inconstitutionnel de priver le tireur de la mosquée de Québec de la possibilité d’une libération conditionnelle avant minimalement 50 ans de prison, tranche la Cour suprême du Canada dans une décision unanime publiée vendredi qui invalide rétroactivement une disposition controversée du Code criminel. Le jugement a aussitôt été accueilli avec déception par le centre culturel islamique où a eu lieu la fusillade qui a fait six morts et cinq blessés, en janvier 2017.

L’article 745.51, déclaré inconstitutionnel, avait été ajouté au Code criminel par l’ex-gouvernement de Stephen Harper en 2011 et donnait la possibilité à des juges condamnant des personnes coupables de multiples meurtres d’imposer plusieurs périodes d’inadmissibilité de 25 ans à la libération conditionnelle, purgées consécutivement.

Le plus haut tribunal au pays a toutefois tranché que le cumul de ces tranches de 25 ans contrevient à l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés protégeant contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

«Poussée à l’extrême, la disposition contestée autorise le tribunal à ordonner à un contrevenant de purger un temps d’épreuve qui dépasse l’espérance de vie de toute personne humaine, une peine dont l’absurdité est de nature à déconsidérer l’administration de la justice», peut-on lire dans la décision rédigée par le juge en chef Richard Wagner.

De plus, la Cour suprême détermine que l’article 745.51 du Code criminel est contraire à la dignité humaine et présuppose que des contrevenants «ne possèdent pas la capacité de s’amender et de réintégrer la société».

«L’horreur des crimes ne nie pas la proposition fondamentale que tous les êtres humains portent en eux la capacité de se réhabiliter et, qu’en conséquence, les peines qui ne tiennent pas compte de cette qualité humaine vont à l’encontre des principes qui sous-tendent l’(article) 12 de la Charte.»

L’effet du jugement est qu’Alexandre Bissonnette, qui a tué six personnes dans une fusillade à la mosquée de Québec en janvier 2017, pourra faire une demande de libération conditionnelle après avoir purgé 25 ans d’emprisonnement de sa peine à perpétuité, la Cour suprême maintenant la décision de la Cour d’appel du Québec qui allait en ce sens.

Le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ) estime que la décision du plus haut tribunal au pays «ne prend pas en considération, à leur juste valeur, l’atrocité et le fléau des meurtres multiples, ainsi que l’aspect haineux, islamophobe et raciste du crime».

En point de presse à Québec, celui qui était président du CCIQ au moment du drame, Mohamed Labidi, a dit avoir entendu les membres de certaines des familles des six victimes exprimer leur peur que leurs enfants orphelins finissent par croiser le tueur de leur père dans les rues de Québec.

«Peut-être que la libération conditionnelle va retarder un peu cette sortie (et la Commission des libérations conditionnelles du Canada) va tenir compte de ce fait-là, mais c’est ça notre véritable crainte», a-t-il ajouté.

Les représentants du CCIQ ont dit vouloir clore un chapitre, se disant prêts à épauler les familles si elles le souhaitent lorsqu’elles seront appelées à faire des représentations devant la Commission, après les 25 ans de prison ferme écoulés et une demande soumise.

«Philosophiquement, nous voudrions tourner la page et moi, personnellement en tant qu’individu, je veux tourner la page. J’ai assez été blessé et j’ai assez (…) pleuré», a dit le cofondateur du CCIQ Boufeldja Benabdallah en soutenant vouloir se consacrer au vivre-ensemble.

De son côté, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) n’a pas souhaité commenter, «par déférence pour la Cour suprême». Lisant une déclaration écrite, le directeur du bureau de Québec pour le DPCP, Daniel Bélanger, a souligné que si une libération conditionnelle vient à être accordée, «Alexandre Bissonnette serait soumis à des conditions strictes et à la surveillance d’un agent de libération conditionnelle jusqu’à la fin de ses jours».

Me Bélanger a aussi déclaré que les pensées du DPCP vont vers les familles éprouvées par la fusillade. «Ce jour marque pour elles la fin d’un long processus judiciaire, mais nous sommes conscients qu’il ne marque pas la fin de leur processus de deuil et de guérison.» 

L’avocat d’Alexandre Bissonnette, Charles-Olivier Gosselin, a quant à lui déclaré que la décision permettait à son client d’espérer une deuxième vie pour «démontrer à notre société qu’il peut être un actif, qu’il peut travailler sur lui et passer à autre chose, regarder vers l’avant».

Droit de réparation

La décision de la Cour suprême fait aussi en sorte que tout autre contrevenant ayant écopé de périodes d’inadmissibilité de 50 ans ou plus pourra demander réparation.

«Comme notre Cour a limité son analyse à l’infliction de périodes d’inadmissibilité de 50 ans et plus, rien n’empêche les contrevenants assujettis à un cumul de moins de 50 ans en vertu de la disposition invalidée de faire valoir une violation continue de leur droit constitutionnel, à charge d’en faire la démonstration dans chaque cas», est-il précisé dans le jugement.

En première instance dans le dossier du tireur de la mosquée de Québec, le juge François Huot de la Cour supérieure avait fixé la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle à 40 ans en se basant sur le principe d’interprétation large.

Il a évalué qu’une peine de prison à perpétuité avec possibilité de libération dans les délais habituels «occulte complètement le nombre de personnes décédées, l’inqualifiable violence exercée, les motivations profondes de l’accusé et les répercussions dramatiques des gestes posés sur les membres des familles endeuillées, la communauté musulmane de Québec et la société en général».

En contrepartie, il a jugé que le recours à deux périodes consécutives de 25 ans sans possibilité de sortir de prison équivaudrait à une violation à l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, ce pour quoi il a établi la période à 40 ans pour remédier à l’inconstitutionnalité. 

Tant la Cour d’appel du Québec que la Cour suprême ont conclu que le juge Huot a fait erreur en appliquant ce principe d’interprétation large.