L’interprète de la Sagouine, la comédienne Viola Léger, décède à 92 ans

MONTRÉAL — Celle qui incarnait avec tant de justesse la Sagouine, cette icône attachante de l’Acadie au franc-parler coloré, est décédée samedi, à l’âge de 92 ans. L’actrice, professeure et ancienne sénatrice Viola Léger s’est éteinte à Dieppe, au Nouveau-Brunswick.

Pour son public et les fidèles de l’œuvre d’Antonine Maillet, elle demeurera toujours «la vraie Sagouine», qu’elle interpréta pas moins de 3000 fois, en français et en anglais, aux quatre coins du pays comme à l’étranger.

«Elle a toujours été l’une de mes grandes amies et certainement la plus grande comédienne que l’Acadie n’ait jamais connue», a témoigné Antonine Maillet dans un communiqué, samedi. 

En entrevue, Mme Maillet a ajouté qu’elle s’attendait au décès de son amie, qui était mourante depuis quelques semaines. Mme Léger demeurait au foyer Notre Dame du Sacré Cœur, à Dieppe. 

«On perd une personne qui a été proche de moi, parce que nous avons eu une réelle amitié, mais c’est ce que je lui dois à Viola : parce que si elle n’avait pas joué la Sagouine, la Sagouine (n’aurait) pas eu le succès qu’elle a eu, et donc (je n’aurai pas) reçu la reconnaissance comme écrivain que j’ai reçue», a-t-elle partagé, disant souffrir de sa perte. 

La célèbre comédienne s’était retirée de la vie publique en février 2017, peu après avoir subi un accident vasculaire cérébral l’ayant laissée avec des séquelles telles que de problèmes de mémoire et des troubles de la vision.

Chaque fois qu’elle foulait les planches dans la peau de son personnage de femme de ménage acadienne, «elle quittait Viola et devenait la Sagouine», s’était souvenue l’agente de la comédienne, Lucienne Losier, dans une entrevue accordée à La Presse Canadienne au moment où Viola Léger avait annoncé qu’elle tirait sa révérence pour de bon.

«La Sagouine a fait connaître l’Acadie et une Acadie particulièrement, qui est celle des personnes qu’on avait négligées. Quand on parle d’une sagouine, c’est une laveuse de places, une fourbisseuse de planchers. Qui aurait pu imaginer que (ce serait) la personne la plus célèbre en Acadie ?» s’est souvenue l’auteure Antonine Maillet en entrevue, samedi soir. 

La ministre fédérale des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, a souligné la carrière de Mme Léger dans une publication sur les réseaux sociaux. 

«Jamais l’Acadie n’aura eu une aussi fidèle ambassadrice que Mme Léger pour qui le personnage de la Sagouine fut non seulement le rôle d’une carrière et d’une vie, mais représenta aussi un symbole de grande fierté et de ténacité pour tous les Acadiens et Acadiennes», a partagé celle qui est élue députée de Moncton—Riverview—Dieppe.

La Société Nationale de l’Acadie a rappelé que Viola Léger incarnait, à elle seule, le parcours de l’Acadie moderne. 

«En acceptant, en 1971, le rôle de la Sagouine que lui offrait sa créatrice, Antonine Maillet, Viola Léger ne pouvait pas se douter qu’elle allait endosser non seulement un personnage unique, mais aussi qu’elle deviendrait une icône de notre peuple et sa fière porte-parole», a souligné le président de la Société Nationale de l’Acadie, Martin Théberge, dans une déclaration écrite. 

Le ministre québécois de la Culture, Mathieu Lacombe, a également présenté ses condoléances sur Twitter, indiquant qu’il s’agit d’une grande perte «pour L’Acadie et pour nous tous aussi». 

«Une grande dame nous quitte, après avoir marqué l’imaginaire de plusieurs générations avec la Sagouine. (…) Toutes nos pensées accompagnent ses proches. Bon repos, Mme Léger», a-t-il écrit. 

Dimanche, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a dit avoir appris avec tristesse le décès de Mme Léger, «une comédienne emblématique, reconnue et bien-aimée qui tenait à la culture acadienne et qui a travaillé sans relâche pour la défendre, tant à titre d’interprète qu’à celui de sénatrice». 

«Viola Léger a diverti des millions de personnes et a incité de nombreuses autres à se renseigner sur la culture et le peuple acadiens et à leur rendre hommage. (…) Nous nous souviendrons de sa contribution à la culture et au patrimoine acadiens pendant des générations à venir», a indiqué M. Trudeau dans une déclaration écrite.

De l’enseignement au théâtre

Née en 1930 d’une famille acadienne exilée au Massachusetts, Viola Léger a surtout grandi au Nouveau-Brunswick, où elle a étudié pour devenir enseignante.

Elle est encore sur les bancs d’école lorsqu’elle fait la connaissance d’Antonine Maillet, alors professeure, avec qui elle nouera une amitié solide qui influencera sa vie professionnelle à tout jamais.

En 1967, alors qu’elle frôle la quarantaine, Viola Léger part aux États-Unis pour apprendre l’enseignement du théâtre à l’Université de Boston, puis s’envole pour Paris pour faire ses premières armes en interprétation théâtrale à l’École Jacques Lecoq.

C’est à cette époque qu’elle recevra un coup de fil d’Antonine Maillet qui lui demande si elle est intéressée par le rôle de «La Sagouine», le personnage d’une vieille femme de ménage acadienne qu’elle vient de créer.

Fille et femme de pêcheurs, cette héroïne de 72 ans, modeste laveuse de planchers, racontant en «chiac» sa vie et ses souvenirs, deviendra vite un symbole de l’Acadie. Elle prendra d’abord vie sur les planches d’un théâtre néo-brunswickois en 1971, puis sera présentée au théâtre du Rideau Vert, à Montréal, l’année suivante, toujours sous les traits de Viola Léger. La Sagouine visitera par la suite les théâtres de nombreuses villes, un peu partout au Canada, mais aussi en Europe.

Son interprétation avait évolué au fil des années. Le directeur général et directeur artistique du Pays de la Sagouine à Bouctouche, Luc LeBLanc, avait souligné dans une entrevue accordée à La Presse Canadienne en février 2017 que Viola Léger disait ces dernières années : «Je l’ai sous la peau». «La Sagouine, c’est Viola Léger», avait-il dit. Bien des gens confondaient d’ailleurs l’interprète et son personnage.

Jamais elle ne s’était lassée de donner vie à la Sagouine, avait de son côté assuré Mme Losier. «Tous les soirs, elle avait ses personnages, ses vieux à qui elle parlait dans sa tête. Elle disait que chaque soir, c’était différent», avait relaté l’agente.

Une vedette de la télévision

Viola Léger deviendra encore plus populaire lorsque, en 1976, la télévision de Radio-Canada diffusera une série de 16 émissions de monologues de la Sagouine. Cette même année, elle incarnera une nouvelle héroïne d’Antonine Maillet, Evangéline Deusse, Acadienne octogénaire déracinée, philosophant sur l’exil, installée sur son banc de parc montréalais où elle rencontrera l’amour.

En septembre 2016, la cinéaste Renée Blanchar a enregistré dix monologues avec une caméra 4K pour immortaliser l’interprétation de Viola Léger.

Au cours de sa vie, l’actrice participera à de nombreuses productions théâtrales, notamment aux pièces du célèbre dramaturge et romancier québécois Michel Tremblay. En 2001, elle obtiendra, ex aequo avec celle qui lui donne la réplique dans «Grace et Gloria», le Masque de la meilleure actrice de l’année. La critique encensera son interprétation d’une vieille dame mourante dans cette pièce de l’Américain Tom Ziegler. Elle s’illustrera également à la télévision, notamment dans son rôle de Gabrielle Lévesque dans le téléroman «Bouscotte» de Victor-Lévy Beaulieu, de 1997 à 2001.

«Elle a eu le temps de tout faire ce qu’elle voulait faire», avait dit l’agente de l’interprète de la Sagouine en février 2017.

C’est Jean Chrétien qui, alors premier ministre libéral, la nommera en 2001 au Sénat à titre de représentante du Nouveau-Brunswick. Quatre ans plus tard, elle quittera la scène politique en soufflant ses 75 bougies, satisfaite de son passage à Ottawa, mais également heureuse de monter à nouveau sur les planches et de se glisser dans la peau de ses personnages.

Au cours de sa vie, Viola Léger a reçu de nombreux doctorats honorifiques et prix prestigieux, dont le titre de Chevalier de l’Ordre de la Pléiade (1978), la Médaille du Conseil de la vie française en Amérique (1987), ainsi que les titres d’Officier de l’Ordre du Canada (1989) et de Chevalier de l’Ordre français des Arts et des Lettres (1991).

Un documentaire, «Simplement Viola», lui a été consacré par le réalisateur Rodolphe Caron.

L’emblématique interprète se raconte par ailleurs elle-même dans «La petite histoire de La Sagouine», livre paru au printemps 2017.

Celle qui a été appelée sur le tard par les arts de la scène avait fondé sa propre entreprise de théâtre, la Compagnie Viola Léger inc., établie à Moncton.

Les détails concernant les funérailles de Mme Léger seront dévoilés prochainement, a indiqué samedi son attachée de presse.