Napa Raphael: le rapport de la coroner ne doit pas être tabletté dit le chef Mckenzie
MONTRÉAL — Le décès de Raphael André, qui a été retrouvé sans vie dans une toilette chimique du centre-ville de Montréal le 17 janvier 2021, illustre le besoin de déployer des efforts supplémentaires pour lutter contre l’itinérance.
C’est ce qui ressort du rapport présenté jeudi par la coroner Stéphanie Gamache au terme de son enquête publique concernant le décès de M. André.
L’homme d’origine innue était une personne en situation d’itinérance. Il était appelé Napa Raphael dans sa communauté et il a été nommé ainsi dans le cadre de l’enquête de Me Gamache.
Selon les témoignages entendus lors des audiences publiques, le printemps dernier, la veille de son décès, Napa Raphael n’a pas pu entrer dans le refuge La Porte ouverte où il s’était présenté, car l’endroit était aux prises avec une éclosion de COVID-19 à l’époque où l’urgence sanitaire était déclarée.
L’homme était fortement intoxiqué à l’alcool au moment de son décès, mais, selon l’autopsie, il est mort d’hypothermie. En conférence de presse à Montréal, Me Gamache a affirmé que s’il avait eu un endroit chauffé et sécuritaire pour la nuit, le drame aurait pu être évité.
Assis dans la salle lors du point de presse de la coroner, le chef de Matimekush-Lac John, Réal McKenzie, s’est levé à la fin des questions des journalistes pour prononcer quelques mots. Il s’est adressé directement à Me Gamache et ils se sont fait une accolade à la fin de la séance, montrant qu’ils avaient un respect mutuel. «Votre rapport, madame, je m’engage devant les médias ici, je vais témoigner par la voix de la radio, d’expliquer en innu à la communauté votre rapport qui est très très bien perçu», a-t-il déclaré.
«On va tout faire pour appuyer votre rapport, a-t-il affirmé d’un ton ferme. Puis au plan politique, que les dirigeants de ce monde, nos gouvernements respectifs, s’engagent qu’on ne tablette plus les rapports […] au coût que ça coûte au public.»
Me Gamache est devenue émotive à la fin de son allocution en expliquant que l’enquête avait été ardue par moment. «Ç’a été une enquête difficile parce que les circonstances du décès étaient selon moi vraiment inhumaines», a-t-elle dit la voix nouée.
«En fait, tout décès qui est investigué par un coroner est un décès de trop, a-t-elle poursuivi. Je prends mon travail à cœur, mais je vous avoue que les circonstances de celui-ci ont été vraiment particulières.» Elle a ajouté qu’il était très important pour elle d’aller «vraiment au fond des choses».
Des «angles morts» dans le système de santé
Le rapport de la coroner Gamache comprend 23 recommandations, dont celle d’assurer une communication plus efficace entre les différents intervenants du réseau de la santé. Des décès comme celui de Napa Raphael auraient pu être évités, conclut Me Gamache.
Elle plaide pour une meilleure coordination entre les ressources destinées aux personnes en situation d’itinérance et souligne l’importance de mettre en place des ressources de réhabilitation spécialisées pour les personnes en situation d’itinérance issues des Premières Nations et des Inuit. Les personnes autochtones sont surreprésentées dans la population itinérante.
Napa Raphael avait un volumineux dossier de santé qui comprenait notamment une grande dépendance à alcool et une atteinte frontale accompagnée de troubles de comportement importants. Me Gamache a analysé son parcours de soins dans les derniers mois de sa vie.
«[Ça] m’a permis de dégager des constats majeurs qui révèlent des lacunes dans l’accessibilité et la continuité de ces soins et services, ou, en d’autres mots, différents angles morts de notre système de santé complexe où des enjeux de communication peuvent être à l’origine des réponses peu coordonnées. Parmi ces constats, il y a d’abord, l’absence de suivi médical centralisé pour M. André, malgré ses multiples consultations dans différents centres hospitaliers de la région de Montréal. L’absence d’un chef d’orchestre bien au fait de son parcours et de sa problématique de santé complexe, malgré la présence de plusieurs personnes du réseau qui ont offert un filet de sécurité ponctuel à M. André», a détaillé la coroner.
Elle soulève qu’il y a eu des «défis de prise en charge» dans le système de santé pour chaque période qu’elle a analysée. «Il faut s’indigner du constat que plusieurs portes ont été fermées à M. André dans les jours précédents à son décès et le soir du 16 janvier 2021, puisque ses problématiques étaient complexes et qu’il ne cadrait dans aucune des catégories traditionnelles de services de santé et de services sociaux», a dénoncé Me Gamache. Elle a spécifié que même si son cas était complexe, il n’est pas unique.
La coroner a espoir que les recommandations seront suivies
Pour améliorer le filet social, la coroner met de l’avant l’importance de la sécurisation culturelle — une approche de soins et de services répondant aux besoins autochtones et visant à réduire la présence d’iniquités — dans les initiatives pour venir en aide aux personnes sans abris.
«La problématique de l’itinérance est complexe et cette enquête publique ne peut malheureusement apporter toutes les réponses», écrit Me Gamache dans son rapport.
«Cependant, nous avons la chance de vivre dans une société qui consacre des efforts pour atténuer les inégalités sociales.»
La coroner recommande également d’amorcer des démarches pour mettre fin au caractère saisonnier des centres d’hébergement d’urgence et d’améliorer la prise de décision dans un contexte d’urgence sanitaire comme la pandémie.
Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a réagi au rapport dans une déclaration écrite. «Ce qui est survenu à Raphael André en 2021 nous a tous secoués. C’est d’une tristesse sans nom. Nous prenons acte des recommandations formulées par la coroner, Mme Gamache. Cela dit, nous n’avons pas attendu la publication du rapport pour agir : plusieurs mesures ont déjà été mises en place», a fait valoir le ministre.
Il a mentionné le programme PRISM qui aide les personnes itinérantes aux prises avec des problèmes de santé mentale, les maisons de chambres de Projets Autochtones du Québec, les refuges Résilience Montréal et Mitshuap, ce dernier étant la «suite du projet de halte-chaleur nommée en l’honneur de Raphael Napa André». M. Carmant a aussi rappelé qu’une partie de l’enveloppe en itinérance est consacrée aux projets pour la clientèle autochtone.
D’autre part, il a dit travailler au développement d’une nouvelle trajectoire de soins en dépendance.
Me Gamache a dit avoir espoir que les recommandations qu’elle a adressées en grande partie à Santé Québec et au ministère de la Santé et des Services sociaux seront suivies pour éviter des décès en de telles circonstances. «Des fois, les rapports de coroners en lien avec des personnes en situation d’itinérance, parce qu’ils sont désaffiliés du réseau de la santé, c’est très difficile d’aller plus loin que ce que nos expertises nous disent, et donc on établit la cause de décès et on peut difficilement établir les circonstances qui entourent cette cause. Mais avec le dossier de M. André, c’était cette opportunité et j’ai vraiment espoir que ça ouvre les yeux sur l’importance de se soucier de nos personnes vulnérables», a déclaré la coroner.
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