Ottawa laisse tomber des conseillers en Afghanistan, estime l’ombudsman de la Défense
OTTAWA — Le Bureau de l’ombudsman du ministère de la Défense nationale demande à Ottawa d’indemniser et d’aider les Canadiens d’origine afghane qui ont servi comme interprètes pour les Forces armées canadiennes en Afghanistan et qui ont ensuite souffert de détresse psychologique.
Le gouvernement fédéral a manqué à ses obligations envers les conseillers linguistiques et culturels canadiens qui ont travaillé pour l’armée canadienne pendant le conflit en Afghanistan, conclut Robyn Hynes, ombudsman par intérim du ministère de la Défense nationale.
Mme Hynes a déclaré qu’Ottawa devrait ordonner des évaluations indépendantes des dossiers et déterminer au cas par cas si ces anciens conseillers canadiens d’origine afghane devraient recevoir des indemnités pour des conditions telles que le trouble de stress post-traumatique.
«Il y a eu des défaillances systémiques à plusieurs moments dans l’emploi des [conseillers] et dans les soins après l’emploi», a-t-elle déclaré.
Ottawa a embauché 81 de ces conseillers linguistiques et culturels pour travailler de 2006 à 2014 dans le pays déchiré par la guerre, lors de déploiements prolongés à l’extérieur des zones sécurisées des bases militaires.
Denis Thompson, un major général à la retraite ayant servi à Kandahar, a souligné que ces conseillers étaient d’une aide inestimable.
«Lorsque vous conduisez dans les rues de Kandahar et que vous regardez devant vous, ils remarquent des choses que vous ne voyez pas. Ce n’est pas comme à Brockville, en Ontario. C’est plutôt comme si vous étiez à la surface de la planète Mars. C’est à ce point étranger pour nous.»
«La guerre en Afghanistan était une guerre de contre-insurrection, et il n’y a pas de ligne de front dans une contre-insurrection. Ainsi, dès que vous quittiez une base, vous étiez exposé. Ils couraient donc les mêmes risques que les soldats canadiens», a-t-il ajouté.
De plus, ces conseillers ont reçu une formation minimale avant d’être déployés et leurs conditions de travail n’étaient pas celles annoncées au départ. Ils pensaient pouvoir rester dans la sécurité relative de l’aérodrome de Kandahar, sans porter de treillis militaire et sans devoir éviter les éclats d’obus des engins explosifs improvisés.
Après leur mission, le ministère de la Défense nationale n’a pas surveillé leur état de santé et ils ont reçu peu ou pas d’aide pour s’y retrouver dans la bureaucratie après l’apparition de leurs symptômes de stress post-traumatique.
Beaucoup d’entre eux se voient toujours refuser l’accès aux avantages sociaux et au soutien pour les problèmes mentaux et physiques découlant de leur service parce que, en tant que civils, ils ne sont pas couverts par les mêmes politiques que les militaires.
«Le gouvernement fédéral a pris un engagement envers ces employés lorsqu’il les a embauchés, a déclaré Mme Hynes. Il les a envoyés à l’étranger, les a déployés à l’extérieur du périmètre, les a mis en danger et, à leur retour, ils se sont retrouvés incapables d’accéder aux soins et aux avantages dont ils avaient besoin.»
Ottawa tarde à agir
Son bureau soulève cette question depuis des années auprès du gouvernement fédéral. Mais alors que le ministre de la Défense, Bill Blair, a promis de les soutenir, Ottawa n’a pas encore agi.
La réponse d’Ottawa aux anciens conseillers qui demandaient une indemnisation a été de les orienter vers la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario, l’instance qui statue sur les demandes d’indemnisation des fonctionnaires fédéraux qui ont travaillé à l’étranger.
Or, de nombreux conseillers disent qu’ils ont eu du mal ou qu’ils n’ont pas réussi à convaincre les fonctionnaires provinciaux de faire progresser leurs demandes.
De toutes les demandes déposées auprès de la commission ontarienne par d’anciens conseillers, seulement trois ont abouti à une indemnisation financière et 13 ont donné droit à un certain niveau de prestations de soins de santé, a déclaré Mme Hynes.
En réponse au rapport de l’ombudsman, le ministre Blair a écrit qu’il regrettait les blessures que plusieurs ont subies en raison de leurs déploiements et que le ministère avait maintenant mis en place des mesures limitant la durée des déploiements civils.
Mais Mme Hynes a déclaré que la réponse du ministre Blair à ses recommandations la laissait «perplexe» quant à la manière dont le plan d’Ottawa «respectera l’esprit» de ses recommandations. Elle a qualifié son rapport de dernière option pour inciter le gouvernement à agir.
«J’espérais qu’exposer clairement les preuves, montrer le calendrier, montrer les lacunes des politiques – j’espérais vraiment que cela inciterait à agir, mais je tiens à souligner que rien n’oblige le gouvernement à suivre les recommandations formulées par notre bureau», a-t-elle souligné.