Pensionnat: Ottawa avait dégagé des groupes catholiques de leur responsabilité

OTTAWA — Le gouvernement avait accepté de dégager pour «toujours» des entités catholiques de leur promesse d’amasser 25 $ millions pour les victimes des pensionnats pour enfants autochtones, selon des documents obtenus par La Presse Canadienne.

Il avait aussi accepté de payer leurs frais juridiques.

La Presse Canadienne a obtenu une copie signée de l’entente de 2015 par l’intermédiaire de la Loi fédérale sur l’accès à l’information. Il semble que c’est la première fois que ce document est rendu public.

«Ce sont des documents très, très importants», soutient Ry Moran, un bibliothécaire adjoint et fondateur du Centre national pour la vérité et la réconciliation. «Chaque fois que l’on parle de responsabilité, ces questions se posent: qui a pris la décision? comment a-t-elle été prise? Qui l’a signée?»

Des experts et des chefs autochtones se demandaient depuis longtemps pourquoi le gouvernement fédéral avait refusé d’interjeter appel d’une décision judiciaire de 2015 qui libérait des groupes catholiques de leur obligation d’amasser 25 millions $ pour les survivants du système des pensionnats pour enfants autochtones.

Selon les documents, les responsables fédéraux avaient déposé, un mois après la décision du juge Neil Gabrielson, un avis d’appel tout en négociant une entente définitive avec les groupes catholiques.

Le 30 octobre 2015, l’entente était approuvée et signée par un ancien sous-ministre de l’ancien ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. 

L’entente fait partie des quelque 200 pages de documents mises de côté pour le ministre des Relations Couronne-Autochtone, Marc Miller, après qu’il eut promis de découvrir les raisons ayant poussé le gouvernement à ne pas porter cette cause en appel. Ces documents gouvernementaux ont été caviardés en partie ou en totalité.

M. Miller a déjà exprimé son ouverture à examiner de nouveau la décision du gouvernement canadien.

Toutefois, la «décharge permanente» approuvée par le gouvernement canadien et le large libellé de l’entente font douter que cela soit possible.

«Le ministre est résolu à comprendre les circonstances et les événements ayant mené à l’abandon de l’appel par le gouvernement de l’époque, a déclaré le cabinet de M. Miller, vendredi. Il est encore plus résolu à faire en sorte que l’Église catholique soit tenue responsable.»

Un porte-parole a renvoyé la question des frais juridiques au ministère de la Justice.

Les autorités de l’époque craignaient que les groupes catholiques tentent de se dégager encore plus de leur responsabilité financière et même non financière.

«Si des discussions font en sorte que le nombre d’obligations financières [auxquelles les groupes sont astreints] est limité à trois, le Canada n’interjettera pas appel», peut-on lire dans un document de septembre 2015. Celui-ci comprend la signature illisible d’un ministre de l’ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper.

Le Canada était alors au milieu d’une campagne électorale.

M. Miller dit que la signature est celle de Bernard Valcourt, l’ancien ministre des Affaires autochtones de Stephen Harper.

Selon le document, dégager les groupes de certaines de leurs obligations non financières «peut représenter un risque pour le Canada».

«Il serait particulièrement inquiétant que le Canada libère les entités catholiques de certaines obligations, comme celle de coopérer à la résolution de toutes les plaintes d’abus commis dans un pensionnat pour Autochtones ne faisant pas partie du règlement.»

Le document prétend aussi que le Canada sera de retour «à la case de départ» s’il portait la cause en appel. 

Ken Young, un ancien chef régional de l’Assemblée des Premières Nations et un ancien pensionnaire, dit douter que le gouvernement fédéral ait obtenu gain de cause.

«Le Canada aurait pu devoir plaider jusqu’à ce que les poules aident des dents, souligne-t-il. Nous sommes passés dans une nouvelle étape.»

Fort critique des déclarations passées de l’Église catholique voulant que les levées de fonds dépendent «de ses meilleurs efforts», M. Young dit croire que les dirigeants ont bien compris la leçon.

Il note la promesse formulée en septembre 2021 de la Conférence canadienne des évêques catholiques de recueillir 30 millions $ à l’échelle nationale au cours d’une période de cinq ans. En date du mois de juillet, 4,6 millions $ avaient été obtenus.

M. Young croit que les évêques tiendront parole. Selon lui, en raison de la richesse du Vatican et de l’Église catholique, il considère que la collecte de fonds n’est pas nécessaire.

«Qu’on signe un chèque maintenant. On n’a pas besoin d’ennuyer les paroissiens avec ça», lance-t-il.