Recensement: les données sur les Autochtones remises en question

OTTAWA — Des responsables fédéraux ont remis en question la qualité des données du recensement de 2021 pour les communautés autochtones après que les efforts de collecte ont été entravés par des facteurs tels que la découverte de sépultures non marquées sur le terrain de pensionnats, selon des documents.

Des notes d’information obtenues par La Presse Canadienne grâce à la Loi sur l’accès à l’information révèlent la difficulté de Statistique Canada à sonder plus de 600 communautés des Premières Nations et inuites.

Les documents ont été préparés pour Services aux Autochtones Canada – le ministère qui finance le logement dans les réserves, ainsi que d’autres infrastructures et programmes sociaux.

En octobre dernier, quelques semaines après la fermeture de la fenêtre de recensement de près de cinq mois, le 24 septembre, les responsables ont fourni une mise à jour au sous-ministre. 

La mise à jour a souligné que si le taux de réponse global était de 98 %, il n’était que d’environ 85 % pour les communautés autochtones.

Ce chiffre était en baisse par rapport aux 92 % de l’année de recensement de 2016.

«Bien que les résultats de la collecte de données aient dépassé les attentes compte tenu des circonstances, des questions subsistent quant à la qualité des données», lit-on.

«Une qualité inférieure des données limitera probablement la capacité de développer une base de données solide pour la prise de décisions, que ce soit les gouvernements fédéral, provinciaux ou autochtones qui utilisent les données du recensement de 2021. »

Services aux Autochtones Canada n’a pas encore répondu à une demande pour commenter la situation.

Au Canada, le recensement est effectué tous les cinq ans pour recueillir des renseignements sur la population et les données démographiques qui aident les gouvernements à prendre des décisions en matière de financement. Les collectivités en dépendent également pour la planification des infrastructures.

Le porte-parole de Statistique Canada, Peter Frayne, a déclaré qu’au cours des deux années de recensement précédentes, le nombre de réserves non entièrement comptées était tombé à 14 en 2016, comparativement à 36 en 2011.

En 2021, ce chiffre a bondi à 63, et M. Frayne a affirmé que la pandémie de COVID-19, combinée à des incendies de forêt et des vagues de chaleur, a eu un impact sur les résultats.

L’organisme fédéral a besoin d’une autorisation pour entrer dans une communauté des Premières Nations. Il a signalé que sur les 63 communautés non comptées, 25 n’avaient pas autorisé l’entrée.

Des documents racontent une histoire plus détaillée de ce qui s’est passé dans les coulisses.

Avant même le début de la collecte de données, Statistique Canada, essayant de déterminer comment mener un recensement alors que la pandémie faisait rage, a choisi de s’appuyer davantage sur les Canadiens pour remplir leurs formulaires en ligne plutôt que par le biais d’interactions en face à face.

Des efforts ont été faits pour mettre sur pied des comptoirs locaux pour les communautés autochtones, mais moins de 1000 des quelque 2200 postes disponibles ont été pourvus.

Au cours de cet été-là, les responsables des Services aux Autochtones ont signalé le retard de la participation au recensement comme un problème pour les communautés des Premières Nations et des Inuits.

«Malgré un niveau d’efforts sans précédent de la part de Statistique Canada, la collecte de données du recensement de 2021 dans les communautés des Premières Nations et des Inuits a été considérablement entravée par la pandémie de COVID-19», indique une mise à jour de la mi-août au sous-ministre.

«Les taux de participation ont encore été atténués par la découverte de lieux de sépulture sur le terrain d’anciens pensionnats pour Autochtones, ainsi que par les récents incendies de forêt qui ont perturbé la vie de tant de familles autochtones dans le nord de l’Ontario et les provinces de l’Ouest.»

Elle poursuit en disant que la découverte de sépultures anonymes «exacerbe le sentiment négatif envers le gouvernement fédéral, conduisant potentiellement les communautés à rejeter la participation au recensement de 2021».

Plus de 150 000 enfants autochtones ont été retirés de force à leur famille et envoyés dans des pensionnats dirigés par des églises et financés par le gouvernement fédéral, où les abus physiques et sexuels étaient fréquents.

Les Canadiens autochtones et non autochtones ont été confrontés à cette réalité en mai dernier, lorsqu’une Première Nation de la Colombie-Britannique a annoncé qu’elle avait trouvé ce que l’on croit être les restes de 215 enfants enterrés sur le terrain d’un ancien pensionnat.

Le directeur général du recensement, Geoff Bowlby, a déclaré que sur les avis des conseillers de liaison avec les Autochtones de Statistique Canada, l’agence avait suspendu la collecte pendant une certaine période par respect pour les communautés.

Ce retard, associé à la façon dont les Premières Nations ont fait face à la douloureuse découverte, a affecté les niveaux de réponse, a-t-il déclaré.

«C’est intangible (…) mais cela aurait certainement eu un impact.»

La volonté des gens de remplir le formulaire de recensement dépend de la confiance et est liée aux expériences qu’ils ont eues avec les gouvernements, a noté M. Bowlby.

«Il y a un fardeau qui est imposé aux gens par le recensement et nous devons être prudents et conscients de ce qui se passe dans la vie des gens.»

À un moment donné, les responsables ont vu que seulement 63 des plus de 600 communautés autochtones du pays avaient été comptées, alors à la mi-juillet, Statistique Canada a décidé de déployer des équipes pour remédier à la situation.

À la mi-août, ce nombre a commencé à augmenter, mais les responsables ont noté que les informations du recensement manquaient toujours dans quelque 500 communautés alors que la fenêtre pour les collecter se fermait. La conséquence d’avoir un écart aussi important est «considérable à plusieurs niveaux», ont-ils déclaré.

«L’ampleur même du travail reste une préoccupation pour toutes les personnes impliquées», lit-on dans une note d’information aux Services aux Autochtones.

Les données du recensement sont une «ressource essentielle», ont écrit des responsables, utilisées par le ministère pour suivre le processus de réduction de l’écart socio-économique entre les peuples autochtones et non autochtones.

«Les efforts visant à garantir que ces données restent de la plus haute qualité sont essentiels pour maintenir l’engagement continu du gouvernement fédéral en matière de transparence et de résultats, et son dévouement à faire progresser la réconciliation avec les peuples autochtones», peut-on lire.

Avec plus de données de recensement manquantes pour les communautés autochtones individuelles que les années précédentes, M. Bowlby a indiqué que les lacunes pouvaient être comblées en créant des prévisions à partir des chiffres de 2016 ainsi qu’en glanant des données agrégées à partir des dossiers fiscaux et du registre des Indiens, qui est contrôlé par Services aux Autochtones Canada.

«Mais il n’y a rien de tel que les données du recensement et c’est pourquoi il est si important que nous les obtenions, et que nous le faisions correctement à chaque recensement», a-t-il déclaré.