Un informateur du Canada aurait aidé des adolescentes allant se joindre à Daech

OTTAWA — Un nouveau livre qui doit paraître jeudi affirme que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) aurait exhorté la police britannique à ne pas révéler ses liens avec un passeur qui avait aidé trois adolescentes britanniques à rejoindre les rangs du groupe armé État islamique en Irak et au Levant (Daech) en Syrie.

Dans son livre intitulé «The Secret History of the Five Eyes: The untold story of the shadowy international spy network, through its targets, traitors and spies», l’auteur Richard Kerbaj raconte qu’au début du mois de mars 2015, deux agents du SCRS ont rendu visite à Richard Walton, alors chef du commandement du contre-terrorisme au Service de police métropolitain de Londres.

D’après ce que rapporte M. Kerbaj, ces agents canadiens auraient révélé à M. Walton que le passeur, Mohammed al-Rashed, avait été recruté comme agent double du SCRS après avoir été arrêté en Turquie le mois précédent — une affaire qui n’était alors pas encore de notoriété publique.

Toujours selon le contenu du bouquin, le SCRS ne souhaitait pas offrir des excuses à M. Walton, mais cherchait plutôt à s’assurer que toute enquête en cours sur le séjour des trois adolescentes en Syrie ne forcerait pas le SCRS à s’expliquer ou à défendre sa responsabilité.

Les allégations concernant les liens entre Mohammed al-Rashed et les services d’espionnage canadiens ont fait les manchettes internationales et ont rebondi à la Chambre des communes à la mi-mars 2015.

Interrogé au sujet du contenu de l’ouvrage de M. Kerbaj, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré que «dans un monde particulièrement dangereux» les services de renseignement canadiens devaient être agiles et souples pour lutter contre le terrorisme, mais il a également souligné qu’ils étaient encadrés par des règles strictes.

«Nos services de renseignement doivent respecter des règles claires et des principes fondamentaux», a-t-il affirmé.

Le gouvernement continuera de veiller à ce qu’il y ait une surveillance appropriée et prendra «d’autres mesures» si nécessaire, a ajouté M. Trudeau.

Le SCRS n’a pas répondu dans l’immédiat aux questions de La Presse Canadienne sur le livre.

Rappel des faits

Lors d’un interrogatoire mené par les services de renseignement turcs, Mohammed al-Rashed a affirmé qu’il avait rencontré un chef régional de Daech alors qu’il travaillait dans un hôpital de Raqqa, en Syrie, est-il indiqué dans le livre.

Le chef régional voulait qu’il rencontre des djihadistes et des «épouses djihadistes» arrivant en Turquie, en provenance de pays comme le Royaume-Uni, et organise leur voyage de l’autre côté de la frontière, vers la Syrie.

Toutefois, M. al-Rashed cherchait désespérément à commencer une nouvelle vie ailleurs qu’en Syrie, où il est né, et avait tenté de demander l’asile politique au Canada en soumettant une demande à l’ambassade du pays en Jordanie.

«Les représentants du renseignement canadien ont vu sa demande d’asile comme une porte d’entrée pour son recrutement comme source», est-il souligné dans le livre.

Dès cet instant, M. al-Rashed a commencé à conserver les détails des personnes qu’il avait fait passer clandestinement pour Daech en photographiant leurs passeports sous prétexte qu’il exigeait une preuve de leur identité.

«Il téléchargeait ensuite les images des passeports sur son ordinateur portable et les transmettait à son responsable du SCRS à l’ambassade de Jordanie.»

Après son arrestation, les autorités turques ont fouillé l’ordinateur et ont trouvé une vidéo qu’il avait filmée des trois écolières britanniques, ainsi que des images de cartes des camps de Daech en Syrie et des photos de passeports pour au moins 20 personnes, écrit M. Kerbaj.

«Conscients que les autorités turques divulgueraient probablement des informations sur l’arrestation de M. al-Rashed aux médias, les Canadiens ont essayé de prendre les devants pour éviter tout embarras supplémentaire concernant le rôle que le SCRS avait joué», indique le livre.

«Et c’est dans cet esprit de manœuvre post-opérationnelle que les deux agents du SCRS ont voyagé à Londres pour rencontrer M. Walton avant que l’arrestation de leur agent en Turquie ne soit rendue publique.»

Les agents canadiens n’auraient rien pu faire pour empêcher les trois adolescentes de se rendre en Syrie, car au moment où le responsable de M. al-Rashed l’a découvert, les étudiantes avaient déjà traversé la frontière vers le territoire de Daech, écrit M. Kerbaj.

Selon l’auteur, de nombreux responsables du renseignement ont estimé que la police britannique n’avait aucun avantage à faire connaître l’implication du Canada dans ce dossier, car cela aurait renforcé la paranoïa persistante de Daech et compromis toute chance d’infiltrer le groupe pour de nouveaux informateurs.