Visite du pape en 2022: facture de 55 millions $ pour le gouvernement fédéral

Pour une membre d’une famille de survivants de pensionnats pour Autochtones du Canada, le coût minimal de 55 millions $ pour défrayer la visite du pape François au Canada l’été dernier ressemble à une autre gifle pour les peuples autochtones.

« Pensez à tout l’argent qui aurait pu être versé aux survivants, à tout l’argent qui aurait pu être consacré à la guérison, à tout l’argent qui était légitimement censé être donné aux personnes qui ont survécu au génocide », explique Michelle Robinson, de Calgary.

Des documents obtenus par La Presse Canadienne en vertu des lois sur l’accès à l’information montrent que le gouvernement fédéral a dépensé au moins 55 972 683 $ pour que le chef de l’Église catholique romaine visite le Canada pendant six jours, en juillet dernier.

Le pape François s’est excusé pour le rôle de l’Église catholique dans les pensionnats lors d’escales en Alberta, au Québec et au Nunavut.

Services aux Autochtones Canada a affecté environ 30 millions $. Cet argent devait être utilisés pour les voyages, les programmes locaux et les initiatives de guérison.

Pour sa part, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC) a consacré 5,1 millions $ au séjour du pape. La majorité de cet argent, 3,9 millions $, est allée à la diffusion des arrêts de la tournée papale, ainsi qu’aux services de traduction en langues autochtones et en français.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a quant à elle déclaré qu’au 24 février 2023, elle avait dépensé plus de 18 millions $, ce qui comprenait la rémunération des heures supplémentaires, les frais de déplacement et les frais d’hébergement. Affaires mondiales Canada a consacré environ 2 millions $ aux déplacements, réunions et hébergements, plus 35 728 $ supplémentaires pour les communications et les relations avec les médias.

Sécurité publique Canada a expurgé tous les coûts des documents obtenus par le biais de demandes d’accès à l’information.

«Je pense que tous les coûts devraient être connus du public», selon Lori Campbell, vice-présidente associée de l’engagement autochtone à l’Université de Regina, dans un courriel. Selon Mme Campbell, il est difficile de mettre un montant en dollars sur les dommages que les pensionnats ont causés à ceux qui y ont résidé et sur l’effet intergénérationnel ressenti jusqu’à nos jours.

On estime que 150 000 enfants autochtones ont été forcés de fréquenter des pensionnats pendant un siècle, et l’Église catholique dirigeait environ 60 % des établissements.

David Chartrand, président de la Fédération des Métis du Manitoba, explique dans un communiqué que les excuses étaient nécessaires pour remédier aux torts historiques. « Il y a toujours un coût associé à l’accueil de tout chef d’État étranger, y compris du pape François, et cela est généralement considéré comme faisant partie du coût du maintien des relations diplomatiques ».

Et M. Chartrand d’ajouter: « Quoi qu’il en soit, les coûts logistiques des excuses ne dépasseront jamais le prix payé par nos survivants et leurs familles. »

Heather Bear, vice-chef de la Fédération des nations autochtones souveraines de la Saskatchewan, a convenu que les excuses étaient importantes pour de nombreuses personnes, mais qu’elles ne peuvent pas se faire au détriment du financement des peuples autochtones. « Nous avons assez payé. Nous avons assez payé de nos vies», dit-elle.

Les survivants avaient demandé au pape de s’excuser pendant des décennies avant la visite, notamment lors d’un voyage au Vatican de dirigeants autochtones en 2009 et en avril dernier. L’appel s’est intensifié après que des milliers de tombes anonymes probables aient été localisées sur les sites de nombreux anciens pensionnats.

Lori Campbell rappelle que la visite devait être le résultat des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, qui a enquêté sur l’héritage des pensionnats. « Bien qu’il était important pour certains que le pape donne suite à l’appel à l’action, je ne connais personnellement aucun Autochtone, âgé ou jeune, qui pense que c’était de l’argent bien dépensé », selon elle.

Certains survivants et peuples autochtones ont déclaré que les excuses du pape sur le sol canadien étaient importantes pour leur guérison et le processus de réconciliation. D’autres ont dit que c’était insuffisant.

François a demandé pardon pour les abus commis par certains membres de l’Église catholique ainsi que pour la destruction culturelle et l’assimilation forcée, mais a déclaré que les pensionnats constituaient un génocide seulement lorsqu’il a été interrogé à ce sujet par des journalistes lors de son vol de retour à Rome.

La grand-mère, la tante et l’oncle de Michelle Robinson ont fréquenté les pensionnats. Elle a déclaré que l’Église n’avait déjà pas respecté ses engagements en vertu de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens.

En 2006, 49 entités catholiques ont accepté de consacrer leurs meilleurs efforts pour amasser 25 millions $ dans le cadre d’un programme de compensation pour les anciens pensionnaires. Après avoir recueilli moins de 4 millions $, un tribunal a libéré les sociétés catholiques de leurs obligations financières.

La Conférence des évêques catholiques du Canada, qui n’était pas partie prenante à l’accord initial, s’est engagée en 2021 à recueillir 30 millions $ pendant les cinq années suivantes après le signalement des lacunes de la campagne précédente. Les évêques canadiens ont organisé la visite papale et avaient précédemment déclaré qu’elle avait coûté à l’organisation environ 18,6 millions $.

Michelle Robinson comprend que la visite du pape devait avoir un coût et que pour certaines personnes, les excuses étaient importantes. Cependant, elle pense que la sécurité a augmenté les coûts en raison des préoccupations anti-autochtones concernant les manifestations ou la violence.

Elle ajoute que l’Église catholique n’a pas respecté ses obligations financières et a maintenant coûté des millions de plus au Canada à cause de la visite du pape _ elle devrait donc, ajoute-t-elle, payer la facture.

À son avis, l’argent du Canada serait bien mieux dépensé pour la revitalisation des langues et de la culture, de la formation contre le racisme, de l’éducation et du soutien aux peuples autochtones. « Cet argent aurait absolument pu être dépensé de meilleure façon et il ne l’a pas été. »