Blâmés pour la crise du logement, les libéraux devront proposer des voies de solution

OTTAWA — Cela fait maintenant trois ans que Chris Burke et sa fiancée sont «à moins d’un an» d’acheter leur première maison.

Premier défi: épargner pour la mise de fonds. La hausse actuelle des taux d’intérêt a repoussé l’accès à la propriété, entravant les projets du couple de se marier et d’avoir des enfants.

«Malgré chaque petit gain que nous réalisons pour l’achat d’une maison, la cible s’éloigne de plus en plus», déplore Chris Burke, résidant d’Ottawa âgé de 31 ans. Ce sentiment d’«enlisement», comme il le décrit, semble partagé par de nombreux jeunes Canadiens qui sont de plus en plus pessimistes quant à leurs perspectives d’accession à la propriété.

Pour les libéraux fédéraux, le mécontentement croissant face à l’état du marché de l’habitation devient une menace politique réelle. «J’ai voté libéral, mais je ne voterais certainement pas pour eux cette fois-ci», lance M. Burke.

Des experts estiment en effet que la crise du logement représentera un énorme défi pour le gouvernement en place lors des prochaines élections s’il ne prend pas rapidement des mesures draconiennes pour y remédier.

«C’est probablement devenu l’enjeu économique et politique le plus important auquel le pays est actuellement confronté», a estimé Tyler Meredith, ancien responsable de la stratégie et de la planification économiques pour la ministre des Finances, Chrystia Freeland.

«Et il est nécessaire d’en faire plus, surtout compte tenu de l’accent important que le gouvernement a mis sur l’immigration, et le lien entre l’immigration et le marché du logement.»

Le chef conservateur, Pierre Poilievre, a directement accusé les libéraux pour l’état du marché du logement, soulignant les augmentations spectaculaires des prix des maisons, des loyers et même des taux d’intérêt.

Selon l’Association canadienne de l’immobilier, le prix moyen national d’une maison était de 709 000 $ en juin 2023, comparativement à 455 000 $ en octobre 2015, lorsque les libéraux sont arrivés au pouvoir. Et les dépenses pour obtenir un prêt hypothécaire ont grimpé en flèche, à la suite d’une série de hausses importantes des taux par la Banque du Canada, en réponse à l’inflation à la suite de la pandémie de COVID-19.

Les loyers ont également grimpé en flèche, certaines villes ayant enregistré des augmentations dépassant les 10 % au cours de la dernière année.

Le premier ministre Justin Trudeau a tenté de prendre ses distances face à la crise du logement: il affirmait récemment qu’il y avait des limites à ce que le gouvernement fédéral pouvait faire dans ce dossier.

«Je serai bien franc: le logement n’est pas une responsabilité fédérale principale», a admis M. Trudeau lors d’une annonce sur le logement à Hamilton le 31 juillet. «Ce n’est pas un dossier que nous portons directement. Mais on peut et on doit aider.»

Ses remarques ont été rapidement fustigées par M. Poilievre, qui a rappelé les promesses antérieures que M. Trudeau avait faites sur le logement. «C’est drôle, car il y a huit ans, il promettait qu’il allait réduire les coûts de logement», a déclaré M. Poilievre en conférence de presse le lendemain.

Que peut faire Ottawa?

La plupart des experts conviennent qu’Ottawa n’est pas le seul responsable de ce problème. Mais beaucoup croient que le gouvernement fédéral pourrait en faire plus pour atténuer la pénurie de logements à l’origine de la crise de l’abordabilité.

La Société canadienne d’hypothèques et de logement prévenait l’an dernier que le pays devait construire 5,8 millions d’unités de logement d’ici 2030 pour rétablir l’abordabilité. Or, si le rythme actuel de construction se poursuit, seulement 2,3 millions de logements auront été ajoutés au parc d’ici 2030.

Selon les experts, le gouvernement fédéral pourrait poser plusieurs gestes. Il pourrait par exemple arrimer davantage ses cibles d’immigration avec le logement, et réformer les règles fiscales pour encourager le développement de logements. Ottawa pourrait également pousser les gouvernements provinciaux et les municipalités à accélérer la construction de logements.

Le gouvernement fédéral a entendu des intervenants et des experts du logement parler de ces solutions potentielles, alors que des rumeurs grandissent au sujet de l’accent mis sur le logement dans le prochain énoncé économique de l’automne, puis le budget de l’année prochaine.

Un haut fonctionnaire du gouvernement qui s’est exprimé sous couvert d’anonymat, afin de pouvoir discuter de questions qui n’ont pas encore été rendues publiques, a déclaré que les libéraux prévoyaient de prendre des mesures au cours de la prochaine année pour amener d’autres ordres de gouvernement, le secteur privé et les organismes sans but lucratif à construire plus d’unités de logement.

Le récent remaniement ministériel à Ottawa pourrait être un signe avant-coureur que le gouvernement fédéral prévoit de donner la priorité à cette question. Le premier ministre a nommé l’un des meilleurs communicateurs dans le caucus libéral, l’étoile montante Sean Fraser, pour s’occuper du logement mais aussi de l’infrastructure — dans un portefeuille nouvellement fusionné.

«Le premier ministre m’a dit quelque chose comme: « J’ai un gros travail à te confier »», a raconté M. Fraser en entrevue. Le nouveau ministre du Logement, de l’Infrastructure et des Collectivités a déclaré qu’il espérait contribuer à restaurer un marché du logement plus proche de celui dans lequel il a grandi dans sa petite ville de la Nouvelle-Écosse: un marché où il suffisait d’occuper un emploi pour acheter une maison.

Champs de compétence

Ce défi consiste à surmonter les problèmes de champs de compétence entre les ordres de gouvernement. Bon nombre des leviers politiques qui pourraient aider à stimuler davantage la construction de logements se trouvent aux niveaux provincial et municipal. L’urbanisme, les règlements de zonage et les formalités administratives sont du ressort des gouvernements locaux, qui peuvent contribuer au développement de logements, ou au contraire l’entraver.

Benjamin Dachis, vice-président associé aux affaires publiques à l’Institut C.D. Howe, affirme que la situation difficile dans laquelle se trouvent les libéraux témoigne de la «nature insidieuse d’une intrusion excessive constante du gouvernement fédéral» dans des champs de compétence qui ne lui appartiennent pas.

Mais l’experte en logement Carolyn Whitzman, professeure auxiliaire à l’Université d’Ottawa, estime au contraire qu’au milieu d’une telle crise, le gouvernement fédéral ne peut pas tourner le dos aux Canadiens.

«C’est au gouvernement fédéral qu’incombe la responsabilité ultime dans ce dossier, a déclaré Mme Whitzman. Si le logement et le changement climatique constituent des crises, alors le gouvernement fédéral va devoir mettre ses culottes et y faire face.»

Note aux lecteurs: Dans une version précédente, le vice-président associé aux affaires publiques à l’Institut C.D. Howe était identifié comme Ben Dachis. Il faut bien lire Benjamin Dachis. Nos excuses.